Rien. Pas un mot, pas une image dans nos archives avant cette première photo, ci-dessus, sous le haut patronage de la princesse Margaret du Royaume-Uni. La Gazette de Lausanne réalise soudain, oui, ce 5 décembre 1963, qu’on parle désormais de «Beatlemania».

Il y aura bien ensuite quelque 120 occurrences des Fab Four durant la seule année 1964 dans le quotidien lausannois et chez son confrère plus feutré/calviniste du bout du lac, le Journal de Genève. C’est que les Beatles avaient déjà bouté «le feu au vieux monde»: «Du jour au lendemain, les petits gars de Liverpool deviennent les plus grandes stars de la terre. La Beatlemania déferle», écrivait Antoine Duplan dans Le Temps en juillet 2020.

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Un peu plus de sept mois auparavant, on ne le savait pas encore, mais ce jour-ci restera historique à tout jamais pour la musique du XXe siècle: le 22 mars 1963. Il y a donc exactement 60 ans ce mercredi. Please Please Me sort. C’est le premier album des Beatles au Royaume-Uni. Après la publication des deux premiers singles du groupe, Love Me Do en octobre 1962, suivi quatre mois plus tard de leur premier succès au sommet des hit-parades, la chanson Please Please Me. Outre les quatre titres figurant sur ces singles, l’album contient 10 chansons enregistrées aux studios EMI d’Abbey Road, en à peine dix heures:

Au début de l’année suivante, le 25 janvier 1964, Jean Dumur ne peut que constater la déferlante. Il raconte dans la Gazette: «Dans la plus grande salle de Birmingham, je devais assister à un spectacle – j’hésite devant le mot concert – de ce jeune quatuor dont le nom […] est mieux connu que celui du premier ministre, voire de l’équipe de football vainqueur de la dernière Coupe d’Angleterre. […] Comment décrire le bouleversant succès de ces gars, trois guitaristes et un batteur, avec leurs bottines à soufflet, leur uniforme en velours côtelé, leur coiffure souple et abondante recouvrant tout le front par une frange soignée, qui relativement inconnus il y a dix-huit mois ont réussi, depuis, à battre tous les records de vente de disques – trois millions d’exemplaires?»

L’album Please Please Me est composé de huit chansons écrites par John Lennon et Paul McCartney et de six titres du répertoire scénique des Beatles. La plupart des chansons sont chantées par les deux mêmes, seuls ou en duo. La chanson Please Please Me de Lennon joue sur le double «s’il vous plaît» – en français, cela signifie quelque chose comme «s’il vous plaît, faites-moi plaisir», dit la Deutche Welle.

«Personne ne s’y attendait, mais c’est arrivé», indique Antena 3, au Portugal: «Please Please Me a atteint le sommet des hits en mai et y est resté pendant trente semaines consécutives.» Cette chanson, c’est le cri primal d'«un groupe qui a stratifié ce que nous appelons aujourd’hui la musique (et la culture) pop et dont l’influence demeure historique et inébranlable. Se souvenir de Please Please Me – ou de cet enregistrement transformé en or – c’est aussi se souvenir du début d’une aventure musicale inarrêtable qui a secoué notre monde.»

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Les 14 tubes que décrypte Il Sole-24 Ore l’un après l’autre sont emblématiques du répertoire que le groupe joue depuis plusieurs années dans les clubs de Liverpool et de Hambourg. Dès leur sortie, les Beatles ne cesseront de monter en popularité, en Grande-Bretagne d’abord, aux Etats-Unis ensuite, puis dans le monde entier.

L’album s’installe en tête des hit-parades. On loue aujourd’hui encore son authenticité, son parfum de fraîcheur et son rôle de rampe de lancement pour les Fab Four. Bref, on a affaire ici au début du phénomène sidérant que cette galette va produire: «Le virus du rock anglais allait dès lors se répandre sur la planète», écrit L’Alsace.

David Bowie le portera à l’empyrée dans les années 1970, après que dix années durant, l’Angleterre a vibré au rythme de la pop music. «Après le retentissement planétaire de la musique des Beatles, une vague de groupes connait un succès fulgurant: les Rolling Stones, The Who, The Kinks, ou encore Pink Floyd, qui se produit pour la première fois sur scène» en 1968, raconte le site Touteleurope. eu:

Dumur en parle aussi, de cette fureur: «A côté des débordements que la présence des Beatles ne manque jamais de déclencher, les manifestations […] font l’effet d’une émeute d’école du dimanche. Il faut d’ailleurs avoir vu des milliers de jeunes assiéger les hôtels des Beatles, passer des nuits et des jours entiers, couchés à même le trottoir dans des sacs de couchage, attendant l’ouverture des bureaux de location, il faut avoir vu des jeunes filles se pâmer à force d’excitation ou entrer en convulsions, pour prendre la mesure de la frénésie tribale dont est saisie l’Angleterre tout entière»:

«Ce succès est la récompense de six ans de porte-à-porte, d’expérimentation, de persévérance. Grâce aussi à deux personnes qui ont cru à ces garçons: Brian Epstein, patron du magasin de disques et gérant des Beatles, et le producteur de musique George Martin», dit encore la Deutsche Welle. «Martin n’utilise qu’un magnétophone à deux pistes, seuls quelques instruments y sont mixés. Ils ont besoin de 15 à 90 minutes par chanson. Après […] des litres de thé, du lait, des pastilles pour la gorge et des cigarettes, les chansons sont enregistrées […]. Malgré une technologie assez simple, les coûts de production sont relativement élevés: 400 livres sterling, ce qui correspondrait à environ 8500 francs aujourd’hui», où une simple production d’album coûte à peine davantage. Le magazine Rolling Stone propose d’ailleurs «un plongeon» dans cette «journée épique en studio, […] depuis I Saw Her Standing There jusqu’au cathartique Twist and Shout.»

Les correspondants de France Télévisions, eux, sont retournés à Liverpool, là où tout a commencé. Près de 300 fois, «ils sont montés sur cette scène [du Cavern Club], ont fait résonner leurs guitares. Ici au fond d’une cave […] est née la bande-son des années 60. Soixante ans après, au même endroit, [un] concert hommage au premier album des Beatles replonge leurs fans dans leurs meilleurs souvenirs»: «J’ai grandi en écoutant cet album. C’est fabuleux de l’entendre en concert à nouveau», confie un fan.

«On entend déjà à quel point ces garçons sont futés. Les accords sont tendus, les arrangements sont malins», décrit Clark Gilmour, le «John Lennon» du groupe Them Beatles. «A Liverpool, peu importe où vous posez le regard. Les Beatles sont encore là, comme les sources de leur inspiration: Strawberry Fields, c’est cet ancien pensionnat de l’Armée du Salut. Penny Lane, le nom du terminus de l’autobus qu’empruntait John Lennon. Un trajet aujourd’hui fréquenté par les fans du monde entier.»

Décidément, comme le titrait encore très récemment l’hebdomadaire italien Panorama, Please Please Me représente «un des meilleurs débuts de toujours»… C’est «l’album qui a tout changé», renchérissent Euronews et le Tiempo argentino. Et Paul McCartney s’en est aussi longtemps souvenu:


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