Revue de presse
Importée d’Amérique du Nord, cette coutume consistant à ouvrir toutes grandes les vannes du crédit à la consommation dès le lendemain de Thanksgiving essaime «ad nauseam» dans tous les recoins où s’accumulent les appâts commerciaux. Mais la résistance s’organise

Vous l’avez remarqué, bien sûr, ce phénomène dont parle La Dépêche du Midi: «Depuis plusieurs jours, vous devez recevoir nombre d’offres commerciales sur votre boîte mail et par SMS» vous «promettant» monts et merveilles avec «des rabais inédits», extraordinaires, du jamais-vu, à tomber. A des prix «défiant toute concurrence», portés avec générosité sur les ailes de l’amour éperdu que vous portent soudain tous ceux qui lorgnent du côté de votre porte-monnaie ou de votre carte de crédit. Venez à nous, chers clients, venez, venez à moi les enfants, et cédez à vos faiblesses. Sortez les dollars, achetez, achetez ad nauseam.
@laRadioNova… Encore une seule fois le mot "#BlackFriday" de mxxxx dans vos pubs et je brûle ma radio… https://t.co/FYwlXqX9H7.
— Eric Feuvrier (@efeuuvrier) 23 novembre 2017
Vous n'y pouvez rien ? Il faut bien que quelqu'un paie - Dommage collatéral. pic.twitter.com/sBOYTbGwWP
Jusqu’ici, le «vendredi noir» des écritures comptables qui affichent cette couleur de la réussite s’était contenté d’inonder de sa vague hypracommerciale les Etats-Unis et le Canada, au lendemain du repas de Thanksgiving, question de faire un peu d’exercice physique après s’être tassé la cloche et avoir boosté les statistiques de l’obésité au pays de l’Oncle Sam.
Mais cette année, vous l’avez vu, hein? Sur les affiches, sur les cabas, dans les vitrines, dans le métro, partout, partout: après avoir conquis une bonne partie de l’Amérique du Sud et d’autres coins du monde avec quelques variantes locales (le «Jour des célibataires» en Chine, par exemple), le Black Friday déferle aussi en Suisse. Après quelques années de tâtonnement, certes, mais plus agressive que jamais, comme si l’on avait un besoin urgent de se faire imposer cette stratégie nord-américaine destinée à stimuler la surconsommation au début de la période où le pigeon lambda est censé réaliser que les fêtes de fin d’année approchent. Et donc commencer ses achats à temps, profitant des soldes alléchants que les commerçants mettent à sa disposition. Mot clé: SALE.
Je ne sais pas ce qui me dérange le plus dans le #BlackFriday, la surconsommation à outrance ou l'utilisation d'un anglicisme tout moche. Quoi qu'il en soit, ça sera #SansMoi
— Я Бэтвумен 🦇 (@ExquiseEsquisse) 23 novembre 2017
Pas très propre, non. Après l’importation en Europe de Halloween et des dindes qui se pâment en vitrine, voici donc les «promos folles et les scènes d’hystérie à l’ouverture des magasins», écrit Le Nouvelliste valaisan. Sachant qu’aux Etats-Unis, «en 2015, 67,6 milliards de dollars ont été dépensés» au cours du week-end du Black Friday, selon le site de statistiques Fundivo, ce diable de vendredi «a débarqué en Suisse romande en 2014, avec la participation remarquée de Manor. En 2015, plusieurs commerçants suisses se joignent au mouvement. Et c’est en novembre 2016 que cette journée de folie s’empare véritablement de la Suisse. Le succès est tel que les sites e-commerce de certaines grandes enseignes, pris d’assaut, deviennent inaccessibles.»
#blackfriday un coup d'accélérateur pour aller plus vite dans le mur. Est-ce cela l'évolution de la civilisation ? Se ruer, rivaliser dans les magasins comme aux Etats Unis ? Gaspillage des ressources, déchets, gens qui travaillent pour une misère, eau polluée... #sansmoi https://t.co/Hj88u7vsuD
— SandrineRoudaut (@AlterniteTweet) 23 novembre 2017
Au final, pour l’édition 2017, «plus de 200 boutiques suisses en ligne sont dans les starting-blocks», avec leurs promos sur un site de référence, le Swiss.blackfriday, escorté de ses avides petits frères que sont les Blackfridaydeals et autres Cuponation (en allemand). Tous ceux-là «ont également lancé le compte à rebours» de ce moment magique où «les Suisses devraient dépenser 80 millions de francs».
Comme on peut le voir dans une vidéo en tête d’un article du HuffingtonPost.fr, il faut donc être solide. On s’organise, donc, et l’on part en chasse. D’ailleurs, certains «conseils de survie» donnés aux clients «font davantage penser à un plan de bataille avant un assaut qu’à une visite au supermarché. Tenue, coiffure, recharges en protéines, paquetage, attitude au combat: rien ne doit être laissé au hasard par nos combattants de la consommation.»
Parce que nous ne sommes pas dupes, la planète non plus, le #BlackFriday ce sera #SansNous #SansMoi ♻️Rejoignez le mouvement : https://t.co/6eyvohYvbv pic.twitter.com/iQu0KQw6kj
— La Piùbella (@lapiubellaoff) 23 novembre 2017
Mais un seul jour de «grande chasse aux trésors», un tout petit, minuscule, minable vendredi dédié à cette «course de vingt-quatre heures pour rafler les bonnes affaires», constate Le Parisien, et plutôt centrée «sur la mode, la beauté et la maison», ça ne suffit pas, non? Alors, «le Black Friday se prolonge dorénavant jusqu’au Cyber Monday […], le lundi suivant, qui concerne, lui, tout le secteur informatique, télécoms et jeux vidéo». Avec «une savante alchimie entre magasins physiques et sites internet» que les enseignes ont mise en place tous azimuts, relève 20 minutes (France). Méthode qui énerve même les plus libéraux d’entre nous:
Alors attention, prévient Le Progrès de Lyon, «l’afflux d’internautes sur les sites de commerce en ligne peut se transformer en aubaine pour les hackers, entre précipitation et crédulité des acheteurs». Car «tous veulent être le premier, ou la première, à acquérir la robe tant désirée, le sofa et ses deux fauteuils convoités, les linges de maison, la télé, l’ordinateur, trop chers en temps normal», indique le quotidien libanais L’Orient-Le Jour. Ou le premier à pianoter sur son clavier pour traquer, salive affleurante, le graal lexical déclencheur du processus: le fameux «bon plan». Qui revient comme un lancinant refrain sur tous les tweets flanqués du féerique mot-dièse #BlackFriday.
#BlackFriday, jour noir pour la planète. pic.twitter.com/WhCxEhEfzL
— sknob 🤐 (@sknob) 24 novembre 2017
Le journal décrit ces fabuleux moments de la vie où l'«on décroche une veste sans savoir que quelqu’un est déjà agrippé à sa manche». Où «un couple s’installe sur un lit pour marquer son territoire en attendant le vendeur». Bref, où «la bousculade est telle que, souvent, il faut appeler la police pour remettre de l’ordre aussi bien au niveau des acheteurs que des embouteillages. Ce qui ne décourage pas les enragés du shopping, fidèles à cette pratique depuis plus d’un demi-siècle.» Désormais, tout le secteur commercial «s’est engouffré dans la brèche».
Mais on peut y échapper. Et c’est Le Figaro qui nous explique comment. «Une pétition, des boycotts, des alternatives… les acteurs de l’économie sociale et solidaire, les spécialistes du réemploi et du reconditionnement s’unissent pour dénoncer cette opération commerciale.» La riposte s’organise. Une pétition intitulée «Le Black Friday, ce sera sans moi» lancée par l’association Zéro Waste France a réuni près de 3000 participants sur Facebook.
Après #Halloween le #BlackFriday !
— Eric Anceau (@Eric_Anceau) 24 novembre 2017
Ras-le-bol de cette sous-culture consumériste d'importation
Le fric ! le fric ! le fric !
Sur Twitter, un hashtag «est utilisé pour exprimer son exaspération face à cette vaste opération commerciale. Il s’agit de #Ondonnetout, lancé par le groupe Camif, spécialiste des meubles responsables. La marque a décidé de frapper fort en fermant son site internet ce vendredi et en incitant les internautes à donner. Pour ce faire, le site accueillera ses clients avec un bandeau «Nous ne vendons rien, vous n’achetez rien.»
«Les internautes commencent à répondre à cet appel sur les réseaux sociaux.» Et l’on respire un peu mieux.
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