Quatre jours après le crash d’un 737 MAX 8 d’Ethiopian Airlines ayant fait 157 morts et conduit à de multiples interdictions de vol de cet avion, Boeing se retrouve dos au mur et doit rétablir son image, ternie par cet accident. Le président américain, Donald Trump, s’est finalement résolu, mercredi et jusqu’à nouvel ordre, à immobiliser les modèles 737 MAX 8 et 737 MAX 9 après des jours de pression internationale et politique. Lui et son administration n’ont cessé de repousser l’échéance, mais le couperet a fini par tomber, explique le magazine professionnel Aviation Week.


Sur ce dossier:


Une décision tardive qui le décrédibilise une fois de plus, tout autant que le régulateur aérien américain, la Federal Aviation Administration (FAA), selon de nombreux médias auscultés par Courrier international, et plus particulièrement le Financial Times, qui rappelle cette crasse évidence: la FAA a des années de retard sur «la plupart de ses homologues» et elle «n’a toujours pas de patron». Pour la diriger, Donald Trump «avait nommé son propre pilote, John Dunkin – l’homme qui pilote ses avions […]. Quand le Sénat lui a ri au nez en lui signifiant qu’il n’était pas qualifié pour diriger une administration au budget de 18 milliards de dollars, [il] a été incapable de proposer un nouveau nom.»

Une «priorité absolue», dit Trump

En attendant, a-t-il dit mercredi, «la sécurité des Américains, et de tous les passagers, est notre priorité absolue». Cette mesure s’aligne sur celle des pays européens et asiatiques, et plus particulièrement de la Chine, marché aéronautique à la plus forte croissance. N’empêche, pendant deux jours, la décision a été fermement maintenue de «laisser la vache à lait de Boeing continuer à transporter des passagers à travers les Etats-Unis, alors même que des pays comme la Chine, [l'Europe, via l'EASA, qui comprend la Suisse] et le Canada le considéraient trop dangereux pour voler», déplore Politico.

«Les observateurs remarquent en outre que l’annonce a été faite de manière peu orthodoxe, le président américain donnant la primeur de la nouvelle à la presse et s’impliquant dans la décision – prenant ainsi le contre-pied de ses prédécesseurs qui, dans un souci d’indépendance, laissaient la FAA communiquer seule sur la sécurité aérienne», relaie Courrier international. Mais Donald Trump, en contact permanent avec le patron du constructeur, Dennis Muilenburg – et lui-même propriétaire d’un Boeing 757 – n’a pas eu peur de mélanger sécurité et patriotisme économique, en déclarant mercredi, selon le Seattle Times: «Boeing est une entreprise incroyable. Ils travaillent dur, très dur en ce moment. J’espère qu’ils trouveront des réponses très vite.»

Le Wall Street Journal explique que ce «virage stratégique» est intervenu dès le moment où le rapport sur l’accident d’Ethiopian a révélé que la courbe de son appareil crashé, «notamment ses rapides et brusques changements d’altitude», ressemblait aux mouvements du vol de Lion Air qui s’est écrasé au large de Sumatra en octobre dernier, faisant 189 morts.

Les premiers éléments de l’enquête ont mis en cause un dysfonctionnement sur le système de stabilisation en vol destiné à éviter un décrochage de l’avion, le Maneuvering Characteristics Augmentation System (MCAS), qui pourrait être impliqué dans l’accident d’Ethiopian Airlines. Le MCAS est un système tout nouveau conçu spécialement pour les 737 MAX, en raison de moteurs plus lourds que ceux équipant les 737 d’ancienne génération.

La FAA a demandé à Boeing de modifier ce système et d’actualiser les manuels de vol et de formation des pilotes. Car hélas, déplore un article de Polityka (Varsovie) repéré par Eurotopics.net, «les grands groupes construisent de plus en plus d’avions pouvant être pilotés par des conducteurs sans expérience. Et il y aura encore des accidents, parce que l’homme se croit plus intelligent qu’un ordinateur.»

«Si le problème se limite à un changement de logiciel, ça devrait aller vite et le correctif être moins coûteux», estime Goldman Sachs. Vu le nombre d’avions en service – 371, selon Boeing – la facture des réparations coûterait moins d’un milliard de dollars, calcule Ken Herbert, analyste auprès de la société mondiale d’investissement Canaccord Genuity. Mais «s’il est déterminé que c’est un défaut de conception», les modifications «prendront plus de temps et seront coûteuses», avance Goldman Sachs, pour qui ce scénario serait le pire.

Le 737 MAX devrait représenter plus de 90% des livraisons d’avions de ligne prévues cette année par Boeing, 33% du chiffre d’affaires et 70% du bénéfice opérationnel de la division aviation civile, justifie la banque. S’il ne s’attend pas à ce que Boeing arrête temporairement la production du 737 MAX, Michel Merluzeau, actif chez AirInsight, le site d’information aérospatiale, se demande si l’augmentation de la cadence à 57 appareils par mois à compter de juin contre 52 actuellement est encore d’actualité.

«Il va falloir trouver des aéroports pour stocker les avions; Boeing va sans doute devoir indemniser les compagnies aériennes qui doivent remplacer les 737 MAX; il va falloir continuer à payer les fournisseurs et les employés car Boeing ne peut pas fermer l’usine pour des problèmes techniques», estime Michel Merluzeau. «Depuis dimanche, nous travaillons sur des plans d’urgence afin de minimiser l’impact pour nos clients», explique à l’AFP un porte-parole de United Airlines, dont les 14 exemplaires de 737 MAX 9 effectuent environ 40 vols par jour. «Nous ne prévoyons pas de perturbation importante sur nos opérations», a-t-il ajouté sans toutefois dire si United prévoyait d’annuler sa commande ou de la convertir en d’autres avions.

Contacté par l’AFP sur de possibles annulations de commandes, Boeing a indiqué ne pas évoquer ses discussions avec les clients. Le contexte n’est pas très favorable aux compagnies clientes du 737 MAX, car Airbus et son A320neo, moins gourmand en carburant, disposent également d’un carnet de commandes rempli, et les récentes montées en cadence de production se sont traduites par des problèmes chez les fournisseurs. «Au lieu de développer un modèle tout nouveau pour desservir le segment des vols court à moyen-courriers, celui qui présente les plus gros débouchés, Boeing a fait le choix, lui, d’un nouveau perfectionnement du 737», rappelle aussi la Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ).

Il était «possible d’optimiser l’ancien modèle en le truffant de nouvelles techniques», dit la FAZ. Une chose est sûre, cependant: «Les avions sont devenus de plus en plus complexes. Mais à quoi bon s’équiper de techniques modernes si l’homme n’en a pas la totale maîtrise?» C’est d’ailleurs l’argument de type «règlement de comptes» qu’a utilisé Trump contre Boeing, pour Le Point. Et Mike Slack, ancien pilote, aujourd’hui avocat des familles de victimes de crashs d’avion, déplore dans Le Parisien le comportement léger d’un constructeur qui a priorisé la lutte contre la concurrence d’Airbus.

Conséquence: l’avionneur doit redorer son image qui a été écornée par trois jours de mauvaise publicité sur la plupart des chaînes de télévision du monde entier, marquée notamment par des appels à boycotter le 737 MAX sur les réseaux sociaux et des doutes sur la fiabilité de ses appareils. «Ils vont devoir convaincre les gens de leur faire à nouveau confiance», confie Michel Merluzeau.

Le Temps publie des chroniques et des tribunes – ces dernières sont proposées à des personnalités ou sollicitées par elles. Qu’elles soient écrites par des membres de sa rédaction s’exprimant en leur nom propre ou par des personnes extérieures, ces opinions reflètent le point de vue de leurs autrices et auteurs. Elles ne représentent nullement la position du titre.