Revue de presse
Les députés des Cortes generales devraient approuver ce vendredi la motion de censure déposée par le PSOE de Pedro Sanchez et porter ce dernier à la tête du gouvernement. L’actuel premier ministre, au pouvoir depuis six ans à Madrid, se trouve très affaibli par la condamnation de son parti pour corruption

Alors que les observateurs de l’actualité espagnole étaient tétanisés, ce jeudi, par l’annonce du départ de Zidane du Real Madrid, ils ont de fait un peu zappé «l’autre» nouvelle du jour, même si elle apparaît plus importante pour l’avenir du pays. L’actuel chef du gouvernement, miné par les affaires de corruption de son Parti populaire (PP), pourrait bien en effet être contraint d’abandonner son poste ce vendredi. Une motion de censure a été déposée contre lui par les socialistes (PSOE), à la tête d’une coalition hétéroclite discutée depuis jeudi qui les allie à une partie indéfinie de Podemos aux cinq députés du Parti nationaliste basque et à beaucoup d’«égarés» de partis minuscules:
Les calculs pour obtenir une majorité sont serrés. Mais la menace existe désormais à Madrid d’une grave instabilité – «à l’italienne», comme le craint le PP. Car si personne ne se désiste, la motion de censure devrait offrir la possibilité de renverser Mariano Rajoy, dont le parti a été condamné la semaine dernière à une amende de 245 000 euros dans l’affaire Gürtel, «un vaste scandale de corruption», précise le site Eurotopics. Et donc propulser le socialiste Pedro Sanchez, surnommé «le beau mec», au palais de la Moncloa. Cette «information» esthétique revient d’ailleurs sous toutes les plumes, elle n’est pas de nature à qualifier l’aptitude qu’on exigerait de lui dans ce cas-là: celle de gouverner.
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El Mundo conseille ainsi au leader du PP de démissionner avant le vote «pour éviter la catastrophe», c’est-à-dire conserver la face politique. Le site de gauche Eldiario.es l’enjoint aussi de «rendre son tablier» depuis plusieurs jours, arguant que le chef de gouvernement porte une parole qui «n’a plus aucune valeur» et que sa «crédibilité s’est volatilisée». Il répond donc au PP en disant que si «Rajoy a vraiment la stabilité du pays à cœur, il devrait démissionner de son propre chef». Même El País, qui a pourtant bien viré à droite ces dernières années – notamment en soutenant le gouvernement de manière inconditionnelle dans l’affaire catalane – trouve que la sentence judiciaire «disqualifie ce gouvernement zombie». Le premier ministre a d’ailleurs admis lui-même en fin de matinée qu’il allait tomber.
Mariano Rajoy - celui qui met en prison des ministres catalans qui ne pensent pas comme lui - connait la déchéance en raison de la corruption qui ronge sa formation politique: pic.twitter.com/KXapfvVNuB
— Pierre Duchesne (@duchp) 31 mai 2018
Selon l’historien spécialiste de l’Espagne Benoît Pellistrandi, interrogé par France 24, à l’heure actuelle, deux scénarios sont possibles: «Soit Mariano Rajoy démissionne avant 13h ce vendredi, ce qui empêchera que la motion de censure soit votée. Dans ce cas, le roi devra consulter tous les groupes parlementaires et négocier pour désigner un nouveau premier ministre d’ici à deux mois. C’est peut-être la solution la moins pire pour le chef du gouvernement s’il veut remettre les compteurs à zéro et garder le contrôle de son parti.» Ou alors c’est Pedro Sanchez qui le remplacera immédiatement.
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Mais pour le quotidien madrilène, le président Rajoy «se trouve dans une position inconciliable avec l’intégrité politique et morale requise par l’exercice de sa fonction. Le gouvernement était déjà en difficulté en raison de sa gestion de la crise séparatiste et de la faiblesse de sa situation parlementaire.» Mais maintenant, «sa crédibilité est encore plus entamée: par ce jugement qui révèle noir sur blanc le financement illégal du parti, mais aussi par son traitement de ces problèmes et son manque d’exemplarité pour la société. La justice a fait son travail, et nous devrions nous en féliciter. La politique n’en a pas fait autant et doit cesser de se retrancher dans cette impunité.»
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Non loin de là, au Portugal, le quotidien libéral Publico n’est pas tout à fait d’accord avec cette interprétation des choses. Il voit bien que «la motion de censure cible évidemment en tout premier lieu le Parti populaire espagnol, dont le discrédit ne cesse d’empirer. […] Mais elle cherche aussi à mettre sous pression le parti Ciudadanos, qui a soutenu le gouvernement jusque-là» et votera contre la motion. Ainsi, la gauche «l’accusera d’avoir maintenu Rajoy au pouvoir». Si cela arrive… Mais c’est aussi une tentative des socialistes «de revenir sur le devant de la scène politique, après une longue absence. […] Il s’agit donc d’une manœuvre tactique et non d’une «révolution». Le plus sage serait donc d’attendre les élections prévues pour l’année 2019.»
#Espagne le parti nationaliste basque #PNV soutient la motion de censure et fait pencher la balance, Rajoy va être destitué aujourU'hui. Les affaires de corruption auront eu raison de ce gouvernement, un nouvel espoir pour l'Espagne et la #Catalogne ?
— mafalda (@mafalda2217) 1 juin 2018
#MocionCensura pic.twitter.com/gBrQC5OQMz
Si l’Italie semble sortir de l’impasse depuis jeudi soir – quoique bien peu d’observateurs y croient vraiment – Courrier international explique bien que la situation est évidemment très différente en Espagne. Ce, via El País, qui reste le quotidien de référence du pays, en dépit de toutes les critiques qu’on lui fait, à gauche comme à droite. Pour lui, «Pedro Sanchez, malgré sa jeunesse – 46 ans – est en quelque sorte un ressuscité de la politique espagnole», démis puis revenu en force, après que le PSOE eut «gouverné l’Espagne de 1982 à 1996, puis de 2004 à 2011». Mais «c’était encore l’époque du bipartisme», et depuis, le PSOE n’a pris que d’immenses claques électorales:
El Sr. Sánchez no está en condiciones de formar un Gobierno estable; no tiene una idea de país; no tiene respuestas a los retos a los que se enfrenta España y no debería aspirar a ser Presidente del Gobierno porque no ha ganado unas elecciones nunca. #MociónCensura pic.twitter.com/1Lf75YF7o6
— Mariano Rajoy Brey (@marianorajoy) 31 mai 2018
Pour calmer le jeu après cette motion de censure qui se jouera à quelques voix près, sur le fil du rasoir majoritaire, le socialiste «a annoncé qu’il respecterait le budget de Rajoy» s’il emportait la mise, ce que ce dernier a vu comme «une recherche désespérée de soutiens». Plus malin sans doute, il a fait «un appel du pied aux séparatistes catalans en leur promettant de rétablir les relations entre le gouvernement central et le nouveau gouvernement» à Barcelone. Mais sans évoquer pour autant une quelconque levée de tutelle sur la province rebelle.
Le PSOE aura du mal à gouverner vu tous les partis qu'il a du convaincre juste pour renverser Rajoy. Il aura du mal à gérer la crise catalane.
— Guillaume Meunier (@MeunierG) 1 juin 2018
Après les débats animés de jeudi aux Cortes Generales, il semble donc bien que la motion sera adoptée, Pedro Sanchez deviendra alors automatiquement, comme le prévoit le Constitution, le nouveau chef du gouvernement. «Auquel cas, la carrière politique de Mariano Rajoy sera bel et bien enterrée.» Pire: «Sur les réseaux sociaux circule de façon virale une drôle d’image satirique, relève Libération. Sur une tombe de marbre, on peut lire cette épitaphe: «Partido Popular. Décédé en Espagne. Le 1er juin 2018. Après une longue maladie démocratique.»
Du triomphe à la déconfiture
Mais «c’est sûrement aller bien vite en besogne». En revanche, «celui qui incarnait un des exécutifs les moins mouvementés d’Europe est tombé de Charybde en Scylla. D’un grand sourire triomphant à une mine déconfite. Premier acte: malgré un gouvernement en minorité, Rajoy a pu «boucler» le budget annuel lui permettant a priori de terminer sa législature jusqu’à 2020. Deuxième acte: le verdict fracassant du tribunal de l’Audience nationale qualifiant sa formation de «système de corruption généralisé» et condamnant 27 anciens dirigeants à une centaine d’années de prison.»
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