Courrier international l’annonçait hier soir: «La presse mexicaine l’avait longtemps appelé le «sommet des three amigos». Il n’avait pas eu lieu depuis 2014… Liés par un traité de libre-échange entré en vigueur en 1994, les Etats-Unis, le Mexique et le Canada se retrouvent pour un sommet nord-américain ces lundi 9 et mardi 10 janvier à Mexico.» Et El País notait, à ce propos:

Cette rencontre est la première visite [au Mexique] d’un locataire de la Maison-Blanche depuis 2014, et la première fois que Biden se rend dans un pays latino-américain depuis le début de son mandat

Joe Biden et son homologue mexicain, Andres Manuel Lopez Obrador (AMLO), ont donc logiquement voulu afficher ce lundi une relation cordiale. Mais les tensions entre les deux grands voisins et partenaires stratégiques ne sont pas dissipées pour autant, disent les agences de presse – le Mexique attendant entre autres davantage de «reconnaissance» de Washington, dit le TJ de la chaîne ARD, en Allemagne. Ces tensions ont affleuré au début de la réunion bilatérale entre les deux délégations, ce que racontent entre autres les agences AP et Reuters: le président mexicain a demandé à son homologue américain d’en finir avec le «dédain envers l’Amérique latine et les Caraïbes».

Ambiance… Et il y a aussi eu cette remarque préliminaire d’AMLO, en présence des médias: «Président Biden, vous avez la clé pour ouvrir et améliorer substantiellement les relations entre tous les pays du continent américain.» Comme piqué au vif, le chef de la Maison-Blanche a rétorqué en soulignant que les Etats-Unis avaient dépensé en quinze ans des «dizaines de milliards de dollars» pour ledit continent. Mais «malheureusement notre responsabilité ne s’arrête pas [là]. Elle existe aussi en Europe centrale, en Asie, en Afrique. […] J’aimerais que nous n’ayons qu’une priorité. Mais nous en avons plusieurs»:

Voilà qui contrastait avec les débuts plus chaleureux de la visite du président américain, venu participer à un sommet dit des «trois amis», auquel se joint ce mardi le premier ministre canadien, Justin Trudeau, lui aussi arrivé à Mexico lundi:

Lundi, Joe Biden et AMLO, souriants, ont d’abord échangé une chaleureuse poignée de main lors d’une cérémonie d’accueil au Palais national, siège de la présidence, en compagnie de leurs épouses respectives, Jill Biden et Beatriz Gutierrez, dans une grande accolade. De quoi laisser penser que la brouille de juin dernier, quand le président mexicain avait boudé un sommet organisé à Los Angeles, s’était estompée. Mais les propos des deux chefs d’Etat soulignent qu’il existe pour les deux pays nombre de sujets délicats.

A commencer par l’immigration. Courrier international rappelait à ce propos il y a quelques jours que «face aux arrivées records de migrants à la frontière avec le Mexique», le président américain avait présenté de nouvelles mesures, largement «critiquées par les associations de défense des droits humains, qui lui reprochent de s’en prendre au droit d’asile». Puis le président américain s’est rendu dimanche à la frontière avec le Mexique, où les migrants arrivent depuis plusieurs mois en nombre record.

Dans ce contexte, la réunion est considérée comme très importante, alors que le sujet de l’immigration «s’enflamme» au moment des milliers de migrants, entre autres vénézuéliens, nicaraguayens, cubains ou haïtiens, se pressent sur la rive du Rio Grande pour tenter de passer la frontière. D’où un intérêt majeur des médias pour ce sommet juste avant Noël, lorsque sa tenue a été annoncée:

Mais le démocrate de 80 ans sait bien qu’il aura besoin de la coopération du Mexique, qui s’est engagé à recevoir chaque mois jusqu’à 30 000 migrants illégaux expulsés. Avec son homologue mexicain exceptionnellement invité à bord de The Beast, ils se sont entretenus selon la Maison-Blanche sur la manière d’avoir une approche «innovante» face à l’immigration clandestine, et ont promis de s’attaquer aux «racines» du phénomène, dans un pays considéré comme le plus dangereux du monde selon la Deutsche Welle et le quotidien espagnol El Mundo:

Mais il y a un autre sujet majeur entre les dirigeants nord-américains, qui est celui du trafic de drogue. Notamment du fentanyl élaboré au Mexique, «qui a provoqué la mort de plus de 70 000 Américains en 2022, […] un sujet prioritaire pour Biden», raconte encore El País. Ainsi, les deux chefs d’Etat ont exprimé leur volonté «d’accroître leur coopération» en matière de lutte contre ce trafic et en particulier celui du fentanyl, puissant opiacé de synthèse qui fait des ravages.

Etats-Unis et Mexique veulent travailler ensemble pour «poursuivre les trafiquants», «perturber» l’approvisionnement en produits chimiques nécessaires à la production de fentanyl et «fermer les laboratoires», selon un communiqué de la Maison-Blanche publié à l’issue de la réunion bilatérale.

Lire aussi: Arrestation au Mexique d’un des fils du célèbre narcotrafiquant «El Chapo»

Tout cela a lieu quelques jours après la journée de terreur qui a vu l’arrestation au Mexique d’Ovidio Guzman, alias «El Raton» et l’un des fils du célèbre «El Chapo» Guzman, qui était recherché par les autorités américaines pour trafic de cocaïne, de méthamphétamine, de fentanyl et de marijuana aux Etats-Unis. Une partie de la presse mexicaine a considéré cette capture comme «un cadeau de bonne volonté» avant l’arrivée de Joe Biden, même si les autorités mexicaines ont fortement démenti que ce soit le cas:

Joe Biden et AMLO ont par ailleurs «réaffirmé leur engagement» dans le cadre de l’accord de libre-échange qui lie leurs deux pays ainsi que le Canada. Et la journée de lundi s’est conclue par un dîner, avec Justin Trudeau et les épouses des trois dirigeants. Ce mardi, Joe Biden et le premier ministre canadien auront pour leur part une rencontre bilatérale, lors de laquelle sera évoqué le possible envoi en Haïti d’une force internationale.

Puis aura lieu le «sommet des trois amis» en tant que tel, que Joe Biden avait relancé à la Maison-Blanche en 2021, après cinq années de froid diplomatique entretenu par Donald Trump, lequel avait délibérément annulé ces sommets réunissant les trois pays formant une des zones les plus puissantes, économiquement parlant, de la planète, au nom de sa doctrine «America first». Les échanges devraient donc aussi faire la part belle à ces sujets économiques, que résument La Presse canadienne et le Wall Street Journal en deux articles très clairs.

Lire encore: La quantité de fentanyl saisie en 2022 aux Etats-Unis suffirait à tuer l’entier de la population du pays

Surfant sur l’actualité du sud du continent, les «three amigos» en ont aussi profité pour fustiger les récentes émeutes bolsonaristes qui ont eu lieu au Brésil: leur premier geste, lundi, a été la publication d’un communiqué commun condamnant les «attaques» de partisans du président déchu contre les principaux sièges du pouvoir à Brasilia. Joe Biden a d’ailleurs annoncé en marge de ces réunions qu’il recevrait le président Lula à Washington au début de février.

Rappelons que le 1er décembre 2018, AMLO était officiellement devenu président du Mexique, élu quelques mois plus tôt avec un peu plus de 53% des voix, ce qui avait mis fin à la domination du parti de centre droit PRI qui dirigeait le pays depuis 77 ans. Cette figure de la gauche et de la politique mexicaine avait justement construit sa victoire autour de la lutte contre la corruption, de l’écologie et d’un discours antisystème. Son entente avec Donald Trump demeure aussi un point central de son mandat, notamment sur la question de l’immigration et du mur que souhaitait construire l’ex-locataire de la Maison-Blanche.


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