Au lendemain de la présentation de la réforme des retraites, la bataille est lancée en France: les syndicats se préparent à mobiliser dès le 19 janvier, dans un front uni contre le report de l’âge légal à 64 ans. Boum. Car après trois mois d’atermoiements et de concertations, le gouvernement a rendu son verdict et confirmé la hausse attendue de l’âge légal de départ en retraite de deux années d’ici à 2030.

C’est moins que les 65 ans promis par Emmanuel Macron avant sa réélection. Mais assez pour «garantir l’équilibre» budgétaire à la fin de la décennie, tout en finançant «des mesures de justice», a assuré Elisabeth Borne, la première ministre. Si le Medef a salué les «décisions pragmatiques et responsables» de l’exécutif, l’accueil est, sans surprise, diamétralement opposé du côté des syndicats, qui ont sifflé d’une même voix une réforme «brutale».

Mais qu’en dit-on dans les médias hors Hexagone, toujours prompts à fustiger le prétendu immobilisme français en la matière? En fait, c’est un sujet éternel, selon le New York Times, un «vieux conflit […] opposant nantis et démunis» si l’on en croit les nombreux articles repérés depuis des années et des années sur le sujet par Courrier international. Jusqu’au site d’information en anglais The Local, établi dans plusieurs pays européens, qui est allé jusqu’à ressortir ce vieux dessin – toujours d’actualité! – de Mix & Remix paru dans L’Hebdo suisse, aujourd’hui défunt:

C’est symptomatique. Il y a trois ans, Radio-Canada voulait éviter le cliché, mais ne pouvait s’empêcher de l’écrire quand même: «Les Français sont réputés pour être de bons vivants. Un art qui se pratique surtout à l’extérieur du travail. Les longs apéros, les passages en terrasse qui s’éternisent. Le travail est donc incompatible avec cette façon de voir la vie, croit le philosophe Pascal Bruckner. Il croit que ses compatriotes voient le travail comme un très mauvais moment à passer, avant d’arriver à une oasis qui s’appelle la retraite, où l’on pourra enfin vivre, se détendre, connaître de vraies joies.»

French bashing? Et pas qu’un peu, mon neveu! «A peine présentée, déjà conspuée», titre par exemple Le Soir de Bruxelles, qui voit bien que «la colère enfle». Parce que «les Français veulent le beurre et l’argent du beurre», «fidèles à eux-mêmes», aux yeux du site britannique Reaction.life, qui voit «l’incohérence [comme] seule constante du paysage politique hexagonal». Fustigeant au passage ces «gilets jaunes» qui revendiquent «un nouveau droit de l’homme: une retraite de bonne heure, parfois dès 52 ans» et contre lesquels Elisabeth Borne veut bien «faire le sale boulot» qui porterait ombrage à l’Elysée.

«Aveuglés par plusieurs décennies de protection sociale généreuse», les Français «sont en fait persuadés que la vocation première de l’Etat est d’assumer l’entière responsabilité de leur bonne santé et de leur bien-être, en particulier au-delà d’un certain âge, qui ne vient visiblement jamais assez tôt. Ils s’attendent à être dorlotés, et l’idée même que l’Etat puisse faire faillite leur paraît complètement absurde. Pour de nombreux Français, la réforme des retraites n’est […] pas un impératif budgétaire.» Mais qu’est-elle, alors, selon eux? Réponse du média d’outre-Manche:

Une tentative de les mettre à la merci du patronat, après des années de tensions économiques et sociales

«Allez les Français, au boulot… une retraite ça se mérite…» commente un internaute du site LeMatin.ch. Même lassitude chez un lecteur de l’éditorial du quotidien vaudois 24 Heures et de la Tribune de Genève, qui déplore, en décembre, avoir dû annuler son voyage à cause de la grève des cheminots. Mais «pas de problème, on ira au printemps, hors des périodes de Fêtes qui sont propices aux grèves […]. Ben… je pense que c’est fichu pour toute l’année. Joli pays mais mal habité!»

Gilbert Cette, professeur de politique économique à la NEOMA Business School interrogé par Radio-Canada, relève que cette réforme «rapprocherait la France de plusieurs de ses voisins européens, où le seuil de départ à la retraite a déjà été relevé ou est en voie de l’être». Alors, quelle sera la réaction des concernés? «Difficile à prédire», estime l’expert: «La France est un pays à la conflictualité très élevée, mais elle est difficilement prévisible. Donc, il est tout à fait possible qu’à partir de la fin du mois de janvier au mois de février, la France vive un conflit social de très grande ampleur. Comme il est tout à fait possible que cette réforme des retraites, finalement, passe avec quelques petites difficultés, mais sans difficulté majeure.»

Bref, «2023 réserve des perspectives peu réjouissantes, dans l’ensemble. Et le début de l’année sera compliqué […] sur un plan politique pour le président français», selon Courrier int'. En Allemagne, le Spiegel annonçait le 1er janvier dernier «l’épreuve décisive pour le président réélu en avril 2022», sur «une de ses promesses de campagne les plus importantes».

Le site Politico.eu voit déjà plus loin. Pour lui, «février sera enfiévré». A l’Assemblée nationale, «la majorité a […] d’ores et déjà prévu de déposer peu d’amendements et d’appeler certains articles en priorité pour pouvoir discuter des dispositions essentielles». Mais il y a aussi ce qu’il appelle «la sulfateuse»: «Les Insoumis sont bien décidés à faire de l’obstruction en déposant des amendements à tire-larigot — leur cheffe de file, Mathilde Panot, avançant même le nombre de 75 000, à raison d’un millier par député de son groupe». De quoi inquiéter un conseiller de l’exécutif:

On risque potentiellement de passer des heures et des heures pour remplacer un «par» par un «pour», mais pas pour débattre de la pénibilité ou des carrières longues. On peut terminer le débat dans le temps prévu sans avoir examiné l’article 1

«Un dossier explosif», pour La Libre Belgique. Quant à La Liberté, elle rappelle que «cette réforme, Emmanuel Macron la poursuit depuis son arrivée à l’Elysée en 2017. Sa première tentative a échoué au printemps 2020, emportée par le confinement. Il disposait pourtant d’une majorité confortable à l’Assemblée nationale, contrairement à maintenant. Dans les sondages, l’opinion publique ne comprend pas son entêtement à donner la priorité aux retraites à un moment où l’inflation ampute le pouvoir d’achat des Français, que les hôpitaux sont à nouveau à la peine et que les petits commerces font face à la flambée des prix de l’électricité.»

«Lettre morte»

Mais, poursuit le quotidien fribourgeois, «du côté du gouvernement, on assure que la réforme est indispensable pour sauver le système des retraites. Faux! rétorque l’extrême droite, qui soupçonne le gouvernement de s’être engagé à mener cette réforme en échange du soutien de l’UE à son plan de relance. Autre argument avancé par le gouvernement: le président a été élu par les Français, qui auraient ainsi approuvé son programme. Que nenni! s’indigne la gauche, qui rappelle que ses électeurs ont soutenu Emmanuel Macron au second tour non pas pour travailler plus longtemps, mais pour faire barrage à Marine Le Pen.» Finalement, pour le constitutionnaliste Dominique Rousseau, il n’y a pas de débat:

Le programme d’Emmanuel Macron n’a pas été validé lors des législatives de juin, où il a perdu la majorité absolue. Par conséquent, il reste lettre morte


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