Les écoliers serbes de Bosnie ne trouveront plus mention dans leurs livres scolaires du massacre de Srebrenica ou du siège de Sarajevo, a prévenu mardi leur président, Milorad Dodik. Ce, malgré le fait que pour la justice internationale, l’exécution par les forces serbes de Bosnie de quelque 8000 hommes et adolescents bosniaques musulmans en juillet 1995 constitue un acte de génocide. C’est la pire tuerie commise sur le sol européen depuis la Seconde Guerre mondiale. Et durant la guerre intercommunautaire de 1992 à 1995, Sarajevo a été soumise à un siège par les mêmes forces armées, durant lequel bombes et snipers ont fait quelque 10 000 morts.

A ce sujet, Le Courrier des Balkans propose un «tour d’horizon des enjeux et des polémiques dans les différents pays» de cette région de l’Europe, car rien, selon lui, «n’est plus sensible que le contenu des manuels scolaires, notamment dans certaines disciplines «identitaires» comme l’histoire ou la littérature. Malgré les efforts déployés par certains réseaux pour promouvoir une approche plurielle de l’histoire, les manuels servent souvent à inculquer des versions étroitement nationalistes.» D’où ce titre très clair du Blic, le quotidien populaire serbe publié à Belgrade: «Les enfants n’apprendront pas que les Serbes ont commis un génocide, parce que ce n’est pas vrai.»

C’est bien ce que Milorad Dodik a dit: «Ces affirmations ne sont pas vraies et de tels livres ne seront pas étudiés ici, que cela plaise ou non», a prévenu le président de la Republika Srpska, dans des propos rapportés par la télévision de cette entité des Serbes de Bosnie et par N1, l’antenne affiliée à CNN dans la région. Il y expliquait pourquoi il soutenait son ministre de l’Education, Dane Malesevic, qui a annoncé l’interdiction de ces ouvrages, édités dans la Fédération croato-musulmane. Rappelons comme Ouest-France le fait que «vingt ans après la fin de la guerre entre les Serbes de Bosnie, les Bosniaques et les Croates, le pays demeure organisé suivant l’appartenance ethnique: la République serbe de Bosnie et la Fédération de Bosnie-et-Herzégovine.»

«Nous avons des critères convenus avec l’OSCE qui ne prévoient pas que de telles choses soient étudiées» en Republika Srpska, a insisté Milorad Dodik, qui s’exprimait à Banja Luka, capitale de l’entité serbe. Il a par ailleurs dénoncé une volonté de tromper les élèves en voulant faire «enseigner dans nos écoles que nous avons commis un génocide». «Qui accepterait une telle chose?» s’est-il interrogé. «Nous ne le permettrons pas. S’ils veulent étudier ce genre d’histoire qu’ils le fassent dans la Fédération», a-t-il ajouté. Sur Twitter, la plupart des commentaires qualifient la décision de «négationniste».

A ce propos, La Liberté de Fribourg précise que suivant un accord de 2002 que détaille le site Balkaninsight et qui est «soutenu par la communauté internationale, la guerre qui ravagea le pays entre 1992 et 1995 fut omise des manuels d’histoire, chaque communauté ayant son interprétation des événements survenus à l’époque.» Dodik, de ce point de vue, est qualifié d'«arrogant» et d'«incapable» sur la page Facebook de l’Advisory Council for Bosnia and Herzegovina (ACBH). «En revanche, le siège de Sarajevo et le génocide de Srebrenica étaient mentionnés dans certains manuels de la Fédération de Bosnie et pouvaient être utilisés par des élèves bosniaques scolarisés dans certaines des 22 écoles qu’ils fréquentent en République serbe.»

En février dernier, Le Courrier des Balkans avait aussi expliqué qu’en ex-Yougoslavie, les manuels d’histoire étaient «des armes de guerre»: «Ils condensent et simplifient le passé des communautés nationales, ils excluent les autres de leur champ de vision.» Pour y remédier, un projet pilote mené depuis Thessalonique tentait depuis quelque temps «de rassembler les matériaux d’une histoire commune». Les volumes consacrés à l’histoire contemporaine de l’ancienne fédération yougoslave venaient de sortir et avaient provoqué, une fois de plus, «polémiques et débats à travers toute la région».

De facto, Milorad Dodik a nié à plusieurs reprises qu’un acte de génocide ait été commis à Srebrenica: «Je vous le dis, nous ne reconnaîtrons pas le génocide. Le génocide n’a pas eu lieu», avait-il répété en juillet 2016. Autrefois favori des Occidentaux qui ont facilité son accession au pouvoir, le président s’en est ainsi beaucoup éloigné. Il estime d’ailleurs que les fragiles institutions de la Bosnie, qui divisent le pays en deux entités largement autonomes, ne sont pas viables. Par le passé, il a aussi brandi la menace d’un référendum d’autodétermination, et cette nouvelle manifestation de nationalisme exacerbé provoque pas mal d’ironie sur les réseaux:

En septembre dernier, les Serbes de Bosnie-Herzégovine ont d’ailleurs «voté en faveur du maintien de leur fête nationale le 9 janvier, date qui correspond à la proclamation de la République serbe», avait expliqué Courrier international. Pour le quotidien de Sarajevo Dnevni Avaz, cela représentait un gros risque de plus grande division du pays encore.


Dans nos archives historiques:

Le Temps publie des chroniques et des tribunes – ces dernières sont proposées à des personnalités ou sollicitées par elles. Qu’elles soient écrites par des membres de sa rédaction s’exprimant en leur nom propre ou par des personnes extérieures, ces opinions reflètent le point de vue de leurs autrices et auteurs. Elles ne représentent nullement la position du titre.