Il y a exactement cinquante ans, le 22 novembre 1963, mourait assassiné à Dallas John Fitzgerald Kennedy, le 35e président des Etats-Unis: ce «prince de la paix», comme l’écrit alors le lendemain le célèbre Pierre Béguin (1903-1978) à la une de la Gazette de Lausanne, qui a dirigé ce quotidien de 1959 à 1966. Réputé pour ses éditoriaux qui faisaient autorité, Béguin pense ce jour-là d’un œil quasi visionnaire qu’«on ne peut désespérer d’un monde qui se donne pour chefs un Jean XXIII et un Kennedy, auxquels leur haute pensée et leur spiritualité ont permis de prendre l’initiative des rénovations nécessaires et des grands desseins».

Une telle emphase est étonnante dans un journal historiquement si imprégné de calvinisme, qui célèbre la mémoire du premier homme politique catholique de l’histoire à avoir accédé à la Maison-Blanche. Et le met – qui plus est – sur pied d’égalité avec un souverain pontife qui – hasard anachronique, mais si parlant! – semblait alors apporter le même vent de fraîcheur que fait aujourd’hui souffler le pape François entre les murs de la forteresse vaticane, un demi-siècle plus tard.

«One PM Central Standard Time»

Souvenons-nous. A 12h40, sur la chaîne CBS, un personnage du feuilleton As the World turns est en train «d’énormément réfléchir» à un remariage quand l’image est coupée. On voit alors le logo CBS puis le présentateur-vedette, Walter Cronkite, qui annonce que le président Kennedy «a été gravement blessé». A 13h38, le même, toujours en bras de chemise – il avait oublié de mettre une veste, dans l’urgence – annonce la mort du président: «From Dallas, Texas, the flash – apparently official – President Kennedy died at one p. m. central standard time». Puis il enlève ses lunettes, regarde l’horloge, comme pour vérifier, hagard, immensément ému, qu’il n’a pas dit de bêtise.

L’image symbolise depuis, presque à elle seule, l’événement tragique qui vient de pétrifier l’Amérique et le monde. Pour le site Atlantico, c’est «la première breaking news de l’histoire». Avec le lot d’approximations qui l’ont précédée: «Le président a été grièvement blessé», avait d’abord indiqué le journaliste. Ce dernier précise néanmoins ensuite que les blessures «pourraient être fatales». Chose étonnante, CBS reprend un bref instant le feuilleton qui était diffusé, puis l’écran devient noir pendant trente longues et angoissantes secondes. On sait aujourd’hui que c’était le chaos absolu dans les locaux de la chaîne. Finalement, une voix annonce: «De plus amples détails sur la tentative [sic] d’assassinat contre le président Kennedy.»

«Traumatisme collectif exceptionnel»

C’est dire le «traumatisme collectif exceptionnel» que constituèrent alors les trois tirs fatals de Dealey Plaza: cinq décennies après, rappelle Le Figaro, «l’écrasante majorité des Américains en âge d’être conscients se souviennent exactement de l’endroit où ils étaient. Pendant quatre jours, la nation pleura à chaudes larmes et s’installa, prostrée, devant les postes de télévision pour vivre au rythme des images qui défilaient en boucle: la liesse de Dallas, le chaos d’après l’attentat, l’arrestation d’Oswald et son assassinat par Jack Ruby

Une estimation fait état de 40 000 livres publiés depuis la mort de JFK, dont des dizaines encore cet automne de jubilé. Incontestablement, malgré la copieuse dose servie par les médias ces derniers jours, la fascination perdure et continue à projeter le commun des mortels dans la perpétuelle «autopsie d’une énigme», tel que l’écrit L’Express. «Comme si l’ascension et la chute de ce trop brillant chef d’Etat à qui s’identifie alors une classe moyenne jeune et en plein essor relevaient d’un mythe qui dépasse les générations.»

Aujourd’hui, sur Twitter…

Largement de quoi justifier le fait que CNN propose ce vendredi aux téléspectateurs du monde entier un dispositif exceptionnel, avec des correspondants de la chaîne en direct de Dallas, à Dealey Plaza, là où aura lieu la cérémonie de commémoration. L’historien David McCullough lira des extraits des plus célèbres discours de Kennedy devant 5000 invités. Mais ce qui a changé aujourd’hui, c’est que les téléspectateurs n’auront plus besoin de pleurer: ils peuvent participer et réagir à l’événement en suivant le LiveTweet @CNNFrancePR via le mot-dièse #JFK50.

On a l’époque qu’on mérite… Car «un demi-siècle après sa mort, l’Amérique d’Obama n’a plus l’élan des années soixante. Elle a perdu son statut d’hyperpuissance. Et elle se souvient avoir aussi perdu pour de bon, ce triste jour de novembre à Dallas, son innocence», lit-on dans le bel éditorial de Sud-Ouest, qui publie à cette occasion un hors-série numérique. Le quotidien regrette «la personnalité solaire de ce jeune président» et qui «s’accommode mal d’une mort aussi contingente, d’une fin si médiocre»: «Le jeune, beau, séduisant, entraînant JFK, hissé à un rang si supérieur à celui de l’homme ordinaire, ne pouvait qu’avoir succombé à une machination à la mesure de son exceptionnel destin.»

Pluie d’hommages

Pas étonnant, donc, que «les hommages continuent de pleuvoir en 2013», fait remarquer Arcinfo. Et de citer un portrait géant de JFK qui «a été découvert dans un champ près de la ville italienne de Vérone. L’artiste italien, Dario Gambarin, a utilisé un tracteur pour créer une image de 150 mètres de large, intitulée «Ich bin ein Berliner», dans un champ.» Et les gourmands, eux, craqueront pour la pâtisserie «The K», dernier né des éclairs Fauchon!

Sans compter que dimanche dernier, dans l’émission Le Supplément sur Canal +, le chroniqueur Stéphane De Groodt a raconté… sa rencontre avec JFK. Un hommage jouissif, à ne pas mettre entre toutes les mains ni devant les yeux et les oreilles trop sensibles… Enfin, «dans une publicité, le PMU a choisi de tourner en dérision l’assassinat de JFK. Une campagne à mi-chemin entre mauvais goût et provocation. Quant à savoir si le public apprécie, les paris sont ouverts.»

Lire et encore lire…

Alors si vous voulez cesser de rire et vraiment savoir qui a tué John Fitzgerald Kennedy, lisez JFK, le dernier jour de François Forestier (Albin Michel), conseille le site Slate. fr: «Bien qu’on en connaisse la fin, le récit de cette journée fatale est haletant. On suit pas à pas, heure par heure, minute par minute, l’emploi du temps des protagonistes. Les têtes d’affiche: JFK, bien sûr, mais aussi Jackie Kennedy, Lyndon Johnson (vice-président), Robert Kennedy (ministre de la Justice), Edgar Hoover (directeur du FBI), Rose Kennedy (la mère), Richard Nixon, Nikita Khrouchtchev, Fidel Castro, les mafieux Carlos Marcello et Santo Trafficante…»

Puis les acteurs: «Lee Harvey Oswald et Jack Ruby. Les témoins et enquêteurs: Abraham Zapruder, qui était là avec sa caméra, et dont le film fera le tour du monde; Bill Greer, le chauffeur du président; Clint Hill, membre du Secret Service, chargé de la protection de JFK; Charles Carrico, le chirurgien qui essaiera en vain de le sauver; le Père Oscar Huber, qui lui donnera l’extrême-onction; l’agent de police Tippit, qui disparaîtra mystérieusement…»

Bon, allez, je vends la mèche, on va vous le dire: le commanditaire de l’assassinat, c’était…

RIP, JFK.

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