L’été 68: après Prague, la rébellion d'Emil Zatopek
Revue de presse
Une fois la Tchécoslovaquie envahie, le célèbre coureur de fond demande une action forte du CIO juste avant les Jeux olympiques de Mexico. En vain

Du lundi au vendredi en juillet-août, «Le Temps» a plongé dans ses archives historiques pour vous faire revivre l'été de l'année 1968. Deux mois de contestation tous azimuts dont on fête le jubilé cette année, avec le «Journal de Genève» et la «Gazette de Lausanne». Cette série en 39 épisodes se termine avec cet article.
Episodes précédents:
Les sportifs sont «en colère» et les Jeux olympiques de Mexico «compromis», annonce la Gazette de Lausanne du 24 août 1968. C’est que la flamme olympique a été «solennellement allumée» la veille, «selon le rite antique aux rayons du soleil d’Olympie». Mais le quotidien vaudois se demande «si elle éclairera le 12 octobre le stade olympique de Mexico», car «une vaste campagne se déclenche en vue d’exclure des Jeux les sportifs soviétiques et les représentants des pays» qui prennent part «à l’occupation armée de la Tchécoslovaquie» depuis trois jours.
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Rien de tout cela ne se concrétisera. Malgré le contexte politique extrêmement tendu avec Mai 68, les assassinats de Martin Luther King et de Bob Kennedy, l’invasion de la Tchécoslovaquie, la guerre du Vietnam, le génocide du Biafra, le massacre de Tlatelolco par l’armée mexicaine, commis quelques jours avant la cérémonie d’ouverture – et l’on en passe – les JO auront bien lieu, avec leur célèbre scène de protestation contre la ségrégation raciale aux Etats-Unis par des sympathisants des Black Panthers.
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Les athlètes soviétiques, au nombre de 312, y remporteront 91 médailles, juste derrière les 377 Américains, avec 107 médailles. Sans compter les résultats, brillants aussi, des alliés de Moscou dans l’affaire tchécoslovaque: Hongrie, Allemagne de l’Est et Pologne, notamment. Avery Brundage, le président du CIO de 1952 à 1972, n’avait pas remis en cause le déroulement des Jeux, qui auront finalement lieu dans une atmosphère pesante. Et avec des médias mexicains sommés d’évoquer le moins possible les remous estudiantins et la répression militaire, afin de ne pas «saboter» les JO.
La Locomotive gronde…
A l’époque, il fallait aussi compter avec l’aura des athlètes tchécoslovaques – 13 médailles à Mexico, 7es au classement des nations. Voilà pourquoi, adulé du monde entier, Emil Zatopek (1922-2000), le spécialiste des courses de fond (du 5000 mètres au marathon), dit «La Locomotive tchèque», se fâche. «Dans une édition spéciale clandestine du journal sportif Stadion affichée sur les murs de Prague», il demande que «les sportifs soviétiques», au même titre que les Sud-Africains, «ne soient pas admis à concourir aux Jeux olympiques de Mexico en raison de la situation tragique créée par l’occupation illégale de la Tchécoslovaquie».
Cette tribune, écrite avec son épouse, Dana Zatopkova, rencontrera un écho considérable. Elle marque, explique le site Cairn.info, le passage de Zatopek «de la soumission à la rébellion» contre les pro-soviétiques du PC tchécoslovaque. Pour lui, l’intervention des chars dans les rues de Prague est totalement condamnable et contraire à l’idéal de paix qu’on lui a demandé de défendre des années durant en tant qu'«athlète d’Etat» et image porteuse de la propagande officielle. Il le paiera cher, sera relevé de toutes ses responsabilités politiques et sportives, et finira même par revenir sur son soutien au réformateur Dubcek, par crainte d’une chasse aux sorcières.
Une sacrée personnalité
Car on lui avait dit que «la classe ouvrière lui avait permis de mener sa carrière et qu’en se rangeant auprès des contestataires, il lui tournait le dos», écrivait Dana en 2007: «On l’a menacé aussi. Une nuit, des soldats l’ont tabassé. Il a eu trois côtes cassées. Je pense qu’il a pris peur face aux proportions que tout cela prenait», rappelant que son mari était une sacrée personnalité dans son pays. Il a été instrumentalisé, «on déformait ses propos, on lui a fait dire certaines choses qu’il n’avait pas dites… Et lui, il était un peu naïf, ça, oui.»
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En 1968, la réponse que donne le CIO au couple Zatopek sera cinglante. Avery Brundage, figure aujourd’hui très controversée qui n’a jamais brillé par son courage politique, avait dit ne rien savoir des volontés du Comité olympique tchécoslovaque d’interdire la participation aux cinq envahisseurs du Pacte de Varsovie. «Rien dans les règles régissant le CIO» ne permettait «une telle mesure», selon lui: «Les Jeux sont ouverts à tous les pays sans distinction. Ils sont tous invités et tous les bienvenus.»
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