L’été 68: les émeutes reprennent à Los Angeles
Revue de presse
Trois ans après les premiers soulèvements des Noirs, le quartier de Watts est en ébullition, en ce mois d'août 1968. Mais ces troubles ont un «nouveau visage»

Du lundi au vendredi en juillet-août, «Le Temps» plonge dans ses archives historiques pour vous faire revivre l'été de l'année 1968. Deux mois de contestation tous azimuts dont on fête le jubilé cette année, avec le «Journal de Genève» et la «Gazette de Lausanne».
Episodes précédents:
En cet été 1968, cela faisait déjà trois ans qu’avaient eu lieu les émeutes dans le quartier majoritairement noir de Watts, à Los Angeles. De fait, malgré le Civil Rights Act de 1964, qui avait déclaré illégale la ségrégation raciale aux Etats-Unis, une véritable politique de lutte contre les discriminations n’avait pas été mise en place immédiatement. Dans ce contexte explosif, ces émeutes, particulièrement violentes, avaient duré pendant six jours, avec un bilan de 34 morts, environ 1100 blessés, 4000 arrestations, près de 1000 bâtiments détruits ou endommagés et des dizaines de millions de dollars de dégâts.
De nouveaux troubles éclatent donc dans ce même quartier le 11 août 1968, dont la Gazette de Lausanne rend compte trois jours après: «Le ghetto noir de Watts en état d’alerte», titre-t-elle. Il y a déjà trois morts et 44 blessés parmi les quelque 33 000 Noirs qui y vivent. On approche de l’élection présidentielle, et la liste républicaine de Nixon est honnie, ici, avec ses deux candidats qui réaffirment leur «opposition à toute manifestation des Noirs et des militants pour les droits civiques».
L’arrivée des Black Panthers
Antoine Bosshard décrypte la situation en expliquant qu’entre-temps est né le Black Panther Party, ce mouvement révolutionnaire de libération afro-américaine d’inspiration marxiste-léniniste et maoïste, formé en Californie le 15 octobre 1966. Un peu moins de deux ans après, donc, et juste après «la désignation de Richard Nixon par la convention républicaine de Miami, les forces de l’ordre se sont trouvées à plusieurs reprises confrontées à des groupes nettement organisés», ceux menés par les Panthères noires. «Un phénomène tout à fait nouveau», juge la Gazette.
Nouveau, certes, «mais non inattendu: «We’ll be organised» (nous allons nous organiser), menaçait, au terme de son voyage autour du monde, en décembre dernier, Stokely Carmichael», à qui l’on doit la notion de «racisme institutionnel». Venu avec sa famille vivre à New York, celui-ci avait étudié à l’université et milita au sein du Comité de coordination non violente des étudiants (SNCC), dont il prit la direction, avant d’entrer chez les Black Panthers en 1967.
Futur époux de la chanteuse Miriam Makeba et futur conseiller du président Sékou Touré en Guinée, Carmichael opposait en effet au racisme individuel punissable une ségrégation beaucoup plus sournoise: celle des institutions, non punissable par définition mais qui peut être tout aussi violente. En réaction de quoi ces mouvements organisés ont commencé à émerger au milieu des années 1960, pour «mettre en place, structurer l’autodéfense, dont on ne sait quand elle quitte le terrain de la légitime défense pour gagner celui de la violence pure».
Rebelote en 1992
Cette évolution est importante et caractéristique de l’époque. Elle mènera, un quart de siècle plus tard, aux émeutes de 1992 à Los Angeles après qu’un jury, composé de dix Blancs, un Asiatique et un Latino, eut acquitté quatre officiers de police accusés d’avoir passé à tabac un automobiliste noir américain, Rodney King, après une course poursuite pour excès de vitesse. A l’époque, on ne savait évidemment pas encore que ce dossier du racisme aux Etats-Unis serait loin d’être clos, même au XXIe siècle.
Aussi le quotidien lausannois craignait-il, en 1968, dans un langage un peu ampoulé, «que la tentation ne soit forte, pour les autorités en place, de procéder à une répression d’autant plus dure qu’elle trouvera sa justification dans la menace de la subversion». Autrement dit: contre les valeurs d’un ordre établi que seul Barack Obama remettra publiquement en question… quarante ans après.
Le Temps publie des chroniques et des tribunes – ces dernières sont proposées à des personnalités ou sollicitées par elles. Qu’elles soient écrites par des membres de sa rédaction s’exprimant en leur nom propre ou par des personnes extérieures, ces opinions reflètent le point de vue de leurs autrices et auteurs. Elles ne représentent nullement la position du titre.