L’été 68: l’essor des mœurs dites légères à Genève
Revue de presse
Un article sur la prostitution dans le vénérable «Journal de Genève»? Voilà la révolution que s’offre, pour sa part, le quotidien libéral à la mi-août 1968

Du lundi au vendredi en juillet-août, «Le Temps» plonge dans ses archives historiques pour vous faire revivre l'été de l'année 1968. Deux mois de contestation tous azimuts dont on fête le jubilé cette année, avec le «Journal de Genève» et la «Gazette de Lausanne».
Episodes précédents:
A la fin des années 1960, on ne peut pas dire que ce soit un sujet que le Journal de Genève ait souvent abordé dans sa longue histoire (depuis 1826). Aussi lorsqu’on voit apparaître le mot «prostitution» – qui plus est escorté de «tapage nocturne» – dans deux de ses colonnes le 15 août 1968, on est forcément «interpellé» par ces thèmes un brin sulfureux dont on imagine mal que le vénérable quotidien pût les aborder si un certain assouplissement idéologique n’était pas passé par là, via les «révolutions» de 68.
Alors, qu’en est-il, dans la si prude Cité de Calvin, de ce «va-et-vient des prostituées, comme aussi les allées et venues, parfois bruyantes, de messieurs en quête de fugaces aventures [qui] troublent non seulement le repos nocturne, mais aussi les esprits»? En fait, Genève vit à ce moment-là une période d’intenses démolitions et reconstructions d’immeubles et de bureaux qui ont déplacé «le centre de la vie» de la nuit. «De nouveaux bars et autres établissements similaires ouverts jusqu’à une heure avancée» sont nés, particulièrement dans les quartiers de Rive et des Tranchées.
Les voitures «dragueuses»
Alors, forcément, il y a là pas mal de «travailleurs étrangers esseulés» et des «femmes de mœurs légères». Le résultat des courses, c’est «du bruit et des inconvénients», car il y a aussi là «le va-et-vient des voitures «dragueuses», il y a […] ces dames qui ont parfois le verbe sonore, il y a également l’inconvénient de voir des femmes honnêtes, habitant le quartier» – ça, c’est le comble! – «être prises pour ce qu’elles ne sont pas, mais pas du tout, par des quidams un peu trop entreprenants».
Bref, la rive gauche se transformerait-elle en nouveau quartier des Pâquis? On confondrait les torchons et les serviettes? Ce, alors que la police précise bien qu’il n’est bien sûr «pas question» de créer «plusieurs centres érotiques» en ville, comme à Berne et à Zurich, qui font de «mauvaises expériences». Mais prudence tout de même, semble penser le (ou la?) journaliste qui écrit ces lignes. Où il est précisé que «la prostitution n’est pas interdite». «Ce qui n’est pas admis», par contre, «c’est le racolage sur la voie publique». Et encore faut-il que le «racolé» se plaigne; «or le quidam importuné préfère la discrétion et ne se plaint donc pas. Pour qu’il y ait plainte, il faudrait que le lésé soit un défenseur de la salubrité publique.»
De «bons résultats»
Cocasses, ces lignes, dans le très distingué Journal de Genève! Mais son enquête est sérieuse, et il faudrait donc qu’elle s’appuie sur des faits et des chiffres. A ce sujet, les autorités ne donnent guère de «précisions». Mais «on nous a tout de même laissé entendre que les prostituées, en tout cas celles connues comme telles de la police, doivent être environ deux cents». Avec cette information supplémentaire – de taille, mais suprêmement formulée: «Il ne s’agit que de femmes de chez nous, les étrangères étant immédiatement expulsées du territoire helvétique.»
Et comment, enfin, la police procède-t-elle avec ces dames? «Lorsqu’une nouvelle venue est repérée sur la voie publique», les gendarmes s’entretiennent avec elle et s’efforcent «de la dissuader de se livrer au commerce de ses charmes». Ce n’est pas inutile, selon le Journal, puisqu’«on arrive parfois à un bon résultat». Reste le problème de «l’autre» prostitution, la «clandestine»: «Celle qui ne s’avoue pas comme telle, donc beaucoup plus discrète, sur laquelle la police n’est évidemment guère renseignée, et pour cause.»
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