Du lundi au vendredi en juillet-août, «Le Temps» plonge dans ses archives historiques pour vous faire revivre l'été de l'année 1968. Deux mois de contestation tous azimuts dont on fête le jubilé cette année, avec le «Journal de Genève» et la «Gazette de Lausanne».

Episodes précédents:

 

On l’a déjà évoquée à plusieurs reprises dans cette série estivale et nous y consacrons ses trois derniers épisodes en cette fin de semaine: la grande affaire de l’été 68, c’est l'écrasement du Printemps de Prague. Depuis le début de l’année, le premier secrétaire du Parti communiste de l’URSS, Leonid Brejnev, exige une modification de la ligne politique du satellite tchécoslovaque, mais Alexander Dubcek, porté par son peuple, s’y refuse.


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Aussi, après des tentatives de négociations pénibles et finalement avortées, dans la nuit du 20 au 21 août 1968, les troupes du Pacte de Varsovie entrent en Tchécoslovaquie, les tanks de la RDA en première ligne, à l’ulcération générale. Y compris celle du Journal de Genève et de la Gazette de Lausanne datés du lendemain, qui sortent leurs plumes les plus prestigieuses pour dire leur «répulsion» face à l’audace des Soviétiques: René Payot et Bernard Béguin pour le premier, François Landgraf, Louis Guisan et l’écrivain hongrois Laszlo Nagy pour la seconde.

La Gazette est particulièrement virulente dans ses commentaires et tente de se rassurer en exprimant sa certitude que «la conscience mondiale ne sera pas dupe du misérable camouflage» opéré par l’agence de presse officielle soviétique Tass: «Les dirigeants du parti et du gouvernement de la République socialiste tchécoslovaque ont demandé à l’Union soviétique et à d’autres Etats alliés de fournir une assistance urgente au peuple frère de Tchécoslovaquie.» Rien de plus faux, évidemment, et le pire, c’est que Walter Ulbricht, l’homme fort de la République démocratique allemande, le plus affidé des pays du bloc de l'Est, «ose prétendre […] aimer les peuples tchèque et slovaque»: «Un exemple d’ignominie et de démence proprement inqualifiable», de mèche avec le Kremlin, «où le viol et le rapt sont les droits du plus fort».

Après l'insurrection de Budapest en 1956, les Hongrois l’avaient appris «à leurs dépens, mais au nom de tous les satellites soviétiques»: «Une brusque sortie du «camp» n’est possible ni par une action locale ni par une intervention occidentale.» Et en effet, huit mois plus tard, en avril 1969, Gustav Husak deviendra premier secrétaire du Parti communiste tchécoslovaque, à la place de Dubcek. La «normalisation» pouvait commencer, au terme d'«une bataille» que le quotidien vaudois prévoit déjà «décisive», «entre un communisme autoritaire dépassé et inhumain, et une expérience tardive qui essaie de sauver in extremis l’essentiel d’un socialisme compatible à la fois avec la justice sociale et la liberté».

Quel est l’enjeu de la situation? Le Journal de Genève pense, lui, qu'«incapables de suivre le cours de l’histoire, prisonniers de leurs vieux dogmes, croyant toujours que le totalitarisme est le seul système qui leur permette de durer», les représentants du Soviet suprême ont redouté la «puissance de contagion» de «l’expérience qu’allait entreprendre la nouvelle et jeune équipe tchécoslovaque» en libéralisant un peu plus le système pour mieux protéger l’individu.

Le choc est immense. Le quotidien genevois estime que le communisme international paiera «cher le cynisme des dirigeants de l’Est». «Entre le délire culturel chinois et le théâtre permanent de la révolution cubaine», il y avait malgré tout la place «pour un réexamen méthodique, audacieux et réaliste de structures périmées». Plutôt que cette «ultima ratio de la force [qui] consacre l’échec de la doctrine».

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