Revue de presse
L’ancienne politicienne socialiste zurichoise est décédée mardi, un jour avant son 88e anniversaire. Elle avait été la première femme candidate au Conseil fédéral en 1983. Mais non élue, suscitant ainsi un scandale qui a marqué la vie politique suisse

C’était il y a bientôt 33 ans, le 7 décembre 1983. Un de ces coups de théâtre dont on se souvient longtemps au Palais fédéral. Le même jour que l’élection du Vaudois Jean-Pascal Delamuraz au Conseil fédéral, le socialiste soleurois Otto Stich, alors totalement inconnu à Berne, est préféré par le parlement à sa collègue zurichoise Lilian Uchtenhagen, pourtant désignée par son parti, pour succéder à Willi Ritschard. Après, on le sait, une «nuit des longs couteaux» que raconte le Blick, où la droite complota pour barrer la route à une première femme à l’exécutif fédéral, parce qu’elle était de gauche. Ce, afin de mieux baliser la route pour la radicale Elisabeth Kopp, qui sera élue une année plus tard.
Pour l’heure, un jour avant Amélia Christinat, c’est elle aussi, la combattante du droit des femmes, la martyre d’une non-élection psychodramatique, qui s’est envolée un jour avant son 88e anniversaire. Emmenant, dans la mémoire visuelle des hommes et des femmes de ce pays, l’image d’une dame très classe, fine, aux brushings toujours impeccables, élégante derrière ses énormes lunettes tellement à la mode dans ces années-là. Le «Comme si c’était hier» d’«Infrarouge», sur la RTS, confirme – «à l’époque, les hommes n’aimaient pas les femmes belles, brillantes et sympathiques»:
Sexistes, ces considérations? On ne parlerait pas d’un homme politique comme cela, non. Mille excuses, donc. Mais nous nous souvenons très bien de ces images de la dame humiliée dans une immense dignité, sur un vieux poste TV en noir et blanc, ces images qui marquèrent d’une pierre noire le destin de celle qui devait «normalement» devenir la première conseillère fédérale de l’histoire. Ce «scandale» rappelle la Neue Zürcher Zeitung (NZZ), avait «déclenché une onde de choc à travers le pays», démontrant la toute-puissance de la majorité bourgeoise au parlement, avant même que la discussion eût lieu ultérieurement au sein du parti pour «savoir si le PS devrait quitter le Conseil fédéral» après cet affront.
Wenige, aber wichtige Erinnerungen bleiben. RIP Lilian. https://t.co/9wYNVgnrfM
— Claude Longchamp (@claudelongchamp) 8 septembre 2016
«Pour de nombreuses femmes à travers le pays», poursuit le quotidien zurichois, l’événement était alors «apparu comme la pérennité de la domination masculine en politique, qui avait pourtant commencé à s’effriter avec l’introduction du suffrage féminin» en Suisse, en 1971. L’affaire Uchtenhagen a laissé «des cicatrices profondes» parce que la Zurichoise était et est toujours considérée comme «une pionnière». «Une politicienne de la première heure», dit l’Aargauer Zeitung. Parallèlement, elle a parfois «été considérée comme la femme la plus puissante de l’économie suisse», par ses activités chez Coop à Zurich. «Caractéristique de sa vie» est cette lumière, ce «phare» qu’elle représentait dans «l’engagement social», aussi comme présidente de Swissaid de 1998 à 2003. Ce portrait réalisé par la SRF le montre très bien:
Toujours selon la NZZ, «au Parlement, elle avait du poids: elle faisait partie, avec Helmut Hubacher, Walter Renschler et Andreas Gerwig, du légendaire Gang of Four» – «die sogenannte Viererbande» – qui a façonné les politiques sociaux-démocrates, a ouvert «le parti des travailleurs» à l’éducation des couches défavorisées et entamé la compétition avec les bourgeois, qui avaient déjà l’avantage numérique sous la Coupole fédérale.» Elle a aussi contribué à susciter «beaucoup de vocations politiques chez les jeunes femmes», lit-on sur Watson.ch.
«Elle a toujours fait de la politique avec style», complète le Tages-Anzeiger. Il faut dire qu’elle faisait partie, avec la Valaisanne Gabrielle Nanchen ou la Schwyzoise Elisabeth Blunschy, de la première génération de femmes parlementaires très profilées à Berne. Et très influente, puisque «à Zurich, c’est en grande partie elle qui a porté Moritz Leuenberger, à l’âge de 26 ans, à la présidence du parti socialiste de la Ville». Si Lilian Uchtenhagen était considérée comme «à gauche dans le parti, en même temps, elle représentait l’aile social-libérale. Ce n’était à l’époque pas une contradiction, notamment dans la politique de la drogue qui était une des préoccupations de la gauche, prônant la dépénalisation tandis que les bourgeois restaient imperturbablement assis sur leur politique de répression de l’Etat.»
Adieux à toutes les deuxhttps://t.co/8wvvz1C6Rl via @letemps
— Christine Salvadé (@csalvade) 8 septembre 2016
«Cette conseillère nationale fut extrêmement efficace et jouissait de qualités que l’on reproche aujourd’hui à Hillary Clinton, comme le sérieux dans les dossiers», a dit d’elle l’ex-conseillère fédérale Ruth Dreifuss: «Elle avait la volonté de faire aboutir les projets. On lui reprochait une certaine raideur, mais cela reflétait ses profondes convictions socialistes»:
Avec Amélia Christinat qui est décédée un jour après elle, les socialistes des années 70 et 80 pouvaient bien être fiers d’elles:
La disparition d'Amelia Christinat et de Liliane Uchtenhagen nous attriste. Nous perdons deux pionnières dont le @PSSuisse est très fier.
— Roger Nordmann (@NordmannRoger) 8 septembre 2016
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