Alors que la Réforme fiscale pour les entreprises liée au financement de l’AVS (RFFA) devrait être acceptée par le peuple suisse avec environ 60% de voix dimanche prochain, du moins si l’on en croit les sondages de la SSR et de Tamedia publiés il y a cinq jours, on a presque envie de reprendre le titre de l’éditorial du Temps du week-end – «Pitié pour le vote populaire!» – en apprenant que des opposants de gauche sont prêts à déposer un recours en cas de oui.

Lire aussi: La dépêche de l’ATS sur ce sujet

Leur argument? En s’appuyant sur un document de l’Office fédéral de la justice (OFJ), ils invoquent une violation de l’unité de matière. Ainsi, avec ce paquet, les citoyens n’ont le choix que «d’approuver les deux objets ou de les refuser ensemble», a expliqué dimanche au 19h30 de la RTS l’avocat Pierre Chiffelle, ancien conseiller d’Etat vaudois socialiste qui représente des militants du Parti ouvrier populaire (POP) vaudois. Le recours a pour but de contester cette «prise d’otages», souligne-t-il non sans véhémence lexicale.

Même si la tentative paraît un peu désespérée «d’inverser la tendance», elle met toutefois en question, «par surprise», un principe démocratique «évacué de la campagne», selon la RTS. Ce qui crée «des doutes» et «ouvre une large brèche» sur une «construction politique peut-être trop complexe», à laquelle, on le voit, sont maintenant opposés des aspects juridiques. De fait, l’OFJ avait fait savoir le 31 mai 2018 déjà à une commission du Conseil des Etats que les deux objets touchaient des domaines matériels différents et que leur «rapport de connexité» ne sautait «dans tous les cas pas aux yeux». Ce que Pierre Chiffelle a soigneusement «teasé» sur Facebook quelques heures avant le téléjournal, lui qui lutte depuis des mois contre ce projet, comme d’autres formations d’extrême gauche, d’ailleurs:

Plus loin dans le texte, l’OFJ ajoutait que cette «liaison» constituait «à n’en point douter, un cas limite». Voilà sur quoi se base notamment Pierre Chiffelle pour justifier la menace du recours. Quoi qu’il en soit et le temps pressant avant le 19 mai, la bataille s’annonce féroce, car les partisans de la réforme pourraient eux aussi se baser sur les arguments de l’OFJ pour défendre leur point de vue, à l’image du conseiller fédéral Ueli Maurer: «L’Office fédéral de la justice a estimé que l’unité de la matière n’était pas lésée», avait lancé le président de la Confédération, chargé des Finances, au moment du lancement de la campagne en février 2019.

Contre ce «nouveau combat» de la gauche, le texte souligne aussi qu'«il faut tenir compte du fait que les projets de loi résultent souvent de la recherche d’un compromis politiquement viable et que cette fonction spécifique du législateur doit peser dans la balance», en mère de toutes les vertus de la démocratie à l’helvétique. En cas de oui, le recours devra être déposé au plus tard trois jours après la publication des résultats dans la Feuille des avis officiels auprès du gouvernement cantonal vaudois. Celui-ci aura ensuite dix jours pour trancher, puis les recourants pourront saisir le Tribunal fédéral, note la RTS.

«La carpe et le lapin», pour Jacques Pilet

«La carpe et le lapin, comme dit le parler populaire»… et comme l’écrivait Jacques Pilet sur le site Bonpourlatete.com le 1er mai dernier: «Pour les initiatives, il existe une règle: l’unité de la matière, pas d’embrouillamini, un sujet à la fois. La droite et la gauche se moquent de ce principe. Toutes occupées à célébrer leur entente. Bizarre.» Mais pas de quoi émouvoir la presse alémanique, qui se contente de reprendre poliment la dépêche traduite en allemand de l’ATS. C’est plutôt sur Facebook que se mène la lutte pour couler le projet, et les socialistes en général n’y prennent pas la même voie que ceux qui se trouvent sur leur aile gauche. Mais il y a plusieurs exceptions, en témoigne une opinion publiée dans La Liberté.


Lire aussi le blog de Suzette Sandoz:

Il y a unité de la matière et unité de la matière

Et nos deux articles déjà consacrés à l'avis de droit de l'OFJ:


Car «ce méli-mélo», cette «tuyauterie à la Tinguely» pour DomainePublic.ch, ces «paquets» qui «ne plaisent pas beaucoup aux citoyens» parce qu’ils «doivent alors avaler souvent une couleuvre en plus du remède» (Suzette Sandoz) amènent «un effet d’enfumage», toujours selon Pilet: «Le soulagement des parlementaires d’avoir trouvé une issue est tel qu’ils ne parlent plus du fond des sujets, évoquent les conséquences avec des chiffres flous et s’interrogent le moins possible sur le long terme. A chacun de nous de le faire. Et de se décider en fonction de sa propre vision des enjeux.»

Et le virage vert?

Des enjeux que tous n’évaluent pas de la même manière, ni selon le même angle, reléguant la «sacro-sainte unité de la matière» aux oubliettes – ce n’est pas primordial dans ce cas-là. Ainsi, dans Le Courrier de ce week-end, par exemple, le député écologiste genevois Jean Rossiaud dénonce «l’accentuation des déséquilibres régionaux et internationaux qu’induirait la réforme fiscale des entreprises». Et «la RFFA rate le virage vert», dit-il. A contrario, dans L’Agefi, la directrice de la Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie, Claudine Amstein, a loué «un compromis empreint du discernement suisse». Pour elle, dire oui à la RFFA, c’est ainsi «faire confiance au bon sens helvétique, […] car ce projet équilibré permettra de sortir enfin de blocages qui mettent en péril nos rentes et nuisent à notre place économique».


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