Les médias allemands s’écharpent sur les «sales machos maghrébins» de la gare de Cologne
Revue de presse
Les témoignages de femmes agressées à Nouvel An décrivent des assaillants «d’origine arabe». Du coup, les amalgames sur les questions d’intégration entravent la culture de l’accueil des migrants prônée par le gouvernement Merkel

La chancelière allemande, Angela Merkel, affronte des critiques redoublées contre sa politique d’ouverture aux réfugiés après les agressions en série de femmes par des hommes «de type arabe» et/ou «maghrébin» lors du Nouvel An à Cologne, qui a scandalisé tout le pays. Même au sein de sa coalition, une de ses proches, la vice-présidente de la CDU, Julia Klöckner, estime qu’on a «trop longtemps regardé en spectateurs des sociétés parallèles se former» en Allemagne et que «l’obligation d’intégration» devait désormais constituer une priorité.
Lire aussi: La maire de Cologne moquée pour ses conseils aux femmes
Mais comment cela s'est-il passé? «J’ai vu une fille qui pleurait, ses bas étaient déchirés et sa jupe de travers. Elle n’en pouvait vraiment plus. Un jeune homme est sorti de la foule et m’a fait des réflexions obscènes: «Je peux t’aider? je sais que je peux t’aider!» a-t-il dit en faisant des gestes obscènes», raconte notamment Steffi, 31 ans, qui a échappé de peu à une agression, dans la Süddeutsche Zeitung. Qui prône «Ein robustes Nein»: le journal s’indigne à la fois de ces débordements et de «la hargne et la haine» qui se déchaînent sur Internet.
Lire aussi: L’Allemagne choquée par de nombreuses plaintes pour agressions sexuelles
Petit retour en arrière sur les faits, avant de considérer les opinions. En faisant un détour par le début de l’excellente revue de presse livrée par France Culture. Lorsque qu’une certaine Anna est descendue du train, Hauptbahnhof Köln, le 31 décembre, elle a pris peur: «Sur le parvis de la cathédrale, devant la gare […], la place était pleine, presque que des hommes et des femmes apeurées, que tous dévisageaient. J’avais l’impression d’être au marché aux bestiaux, dit-elle. Presque aussitôt, j’ai senti une première main sur mon jean. Je me suis accrochée à mon ami et nous avons pris la fuite.»
Tous ne sont pas parvenus à quitter aussi rapidement les lieux: «Nous nous apprêtions à partir et c’est là qu’un groupe d’une dizaine, vingtaine, trentaine peut-être de jeunes hommes étrangers s’en est pris à nous», raconte une autre victime sur le plateau de la chaîne télévisée d’info continue N-TV. «Ils se sont mis à nous agresser, nous prenant l’entrejambe et touchant nos décolletés.»
Alors attention au piège, prévient le Tagesspiegel, que cite et traduit Eurotopics. Le quotidien met en garde contre les suspicions générales, car «la nouvelle tombe à point nommé pour les milieux d’extrême droite» et «pourrait envenimer un débat déjà brûlant sur les rapports avec les réfugiés et les immigrés établis de longue date dans le pays. […] Il ne s’agit pas de nier le fait que parmi les migrants, il y a des machos, y compris de «sales machos violents». Ni non plus que beaucoup de réfugiés sont issus de cultures accordant peu de droits aux femmes.»
Lire aussi: Stupeur après les agressions sexuelles de la Saint-Sylvestre
Le journal berlinois n’est ainsi pas d’accord d’associer les «tripoteurs» et les «détrousseurs» de Cologne aux immigrés en général, qui «ne forment pas un groupe homogène»: «Il est tout aussi vain de les accuser en bloc que de les innocenter en bloc.» Mais de toute manière, il y a «trop d’idiots parmi les réfugiés», déplore le Telegraaf néerlandais, cité dans une revue de presse préparée par le Handelsblatt. Voilà qui ne présage rien de bon pour le carnaval qui aura lieu en février, selon la BBC.
Cela exige donc «une réponse ferme de l’Etat de droit», aux yeux du Spiegel, dont les propos éditoriaux sont rapportés par Courrier international. Qui remarque qu'«il a fallu plusieurs jours aux médias allemands pour s’emparer du sujet, la police de la ville ayant annoncé le 1er janvier que la nuit s’était passée sans incident majeur»! «Calmement», «comme l’an passé», fait remarquer Die Welt. Ainsi, «les forces de l’ordre sont pointées du doigt […], d’autant […] qu’un de leurs responsables syndicaux a avoué qu’il serait difficile de poursuivre les auteurs faute de pouvoir les identifier», indique la Frankfurter Allgemeine Zeitung.
La police pointée du doigt
A ce propos, l’éditorialiste du Kölner Stadt-Anzeiger, que cite et traduit la revue de presse quotidienne de la Deutsche Welle ne mâche pas ses mots: «La police de Cologne fait penser à un délinquant qui, au cours d’un interrogatoire, ne parle que sous la pression, mais jamais plus que nécessaire. […] Ses chefs doivent se demander s’ils sont encore à la hauteur de leur tâche, s’ils publient des communiqués de presse positifs parce qu’ils ne sont au courant de rien. Ou bien parce qu’ils croient devoir servir de quelconques intérêts politiques»: «Embellir les choses» ne fait «qu’aggraver la situation et amplifier les inquiétudes de la population».
Alors, avec son sens de la formule et son habitude des titres qui ont de l’impact, Bild écrit: «Des centaines d’assaillants, 118 plaintes, zéro suspect.» La sécurité des femmes en Allemagne serait-elle donc «remise en cause»? «Personne ne sait qui sont les auteurs. S’agit-il de jeunes hommes frustrés, de bandes de voleurs excités, de réfugiés?»
«Une intégration ratée»
Des réfugiés? On est au «cœur du débat», pour le Handelsblatt. Car «les politiques ont beau assurer que l’origine des attaquants n’entre pas en ligne de compte, vu le contexte – l’arrivée massive de réfugiés dans le pays –, ces sous-entendus sont des «clichés dangereux» et une entrave potentielle à la culture de l’accueil» prônée par le gouvernement Merkel: «Le véritable danger est que l’impuissance et la colère ne divisent encore plus profondément la société qu’elle ne l’était déjà à propos des réfugiés.»
L’auteure féministe Alice Schwarzer voit dans ces événements «les conséquences d’une tolérance mal placée». Dans Emma, elle décrit les auteurs des violences comme «les immigrants et leurs fils», des «produits d’une intégration ratée» qui «rêvent d’être des héros, comme leurs frères engagés dans les guerres civiles en Afrique du Nord et au Moyen-Orient et ceux qui jouent à la guerre en plein cœur de l’Europe».
Ce serait «moins amusant»...
D’ailleurs, la question des précisions sur «l’origine ethnique des assaillants» fait aussi débat. La Tageszeitung, à gauche, estime par exemple «que les médias ont cédé à la pression sur les réseaux sociaux et ignoré les règles de neutralité: «Qu’est-ce que cela aurait changé si les attaquants n’avaient pas été «maghrébins» mais Allemands de souche? Pour les femmes concernées, pas grand-chose.»
Le même journal explique d’ailleurs aussi que «cela fait partie de la triste réalité: lors de grands rassemblements festifs, où l’alcool coule à flots, les femmes sont régulièrement victimes d’attouchements sexuels». Et pour plus d’un Allemand, carnaval «serait moins amusant» sans cela: «Un phénomène que l’on peut observer dans les rues et sur les places publiques à la Saint-Sylvestre en Allemagne aussi bien que sur la place Tahrir au Caire en Egypte ou lors de manifestations dans le parc Gezi à Istanbul en Turquie. Des violeurs sont des violeurs, quelle que soit leur origine!»
Le Temps publie des chroniques et des tribunes – ces dernières sont proposées à des personnalités ou sollicitées par elles. Qu’elles soient écrites par des membres de sa rédaction s’exprimant en leur nom propre ou par des personnes extérieures, ces opinions reflètent le point de vue de leurs autrices et auteurs. Elles ne représentent nullement la position du titre.