Six mois après, «l’affaire» n’est plus très claire. En juin dernier, l’animateur de France 2 Michel Drucker avait annoncé la mort prochaine de son «pote» Delpech, à l’agacement presque général de la part de ce revendiqué «confident des plus grands». Celui à qui tous les condamnés devraient tenir la main «quand l’heure fatidique s’approche…»

Que voulaient-ils dire, l’un et l’autre? Que cachait ce dévoilement funeste sentant méchamment le «commercial»? Que Michel Delpech ne serait «plus là en septembre». Et quel était vraiment, des deux Michels, celui qui l’annonçait? Un troisième l’a rappelé brutalement sur Facebook ce dimanche au petit matin, peu après que l’on eut appris la nouvelle:

«La fin d’une souffrance aussi intolérable ne me rend pas triste. Quelle volonté chez ce poète d’une extrême gentillesse qui a prolongé les prévisions sinistres et déplacées qui ont accompagné ses derniers moments quand ils ne l’étaient pas. Bravo Michel, tu es un grand exemple de courage.» Signé: Michel Polnareff.

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N’empêche, on le savait. On redoutait l’issue. Puis on a presque oublié. La Faucheuse s’est «fait attendre». Pour passer, comme toujours ou presque, au moment où l’on s’y attend le moins. Créant le choc, le seuil de l’an neuf à peine franchi, lorsque tout le monde à la tête ailleurs. Alors… sans y être prêts – tout en l’étant –, les médias ont sorti leurs plus belles nécrologies. Quelques secondes seulement après l’annonce de la disparition de Michel Delpech! Tous ces dithyrambes, évidemment, ne pouvaient avoir été écrits si rapidement.

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Frappe celui de Paris Match. Par son audace, son franc-parler, sa vérité. «Observateur aiguisé, le cœur à gauche», y lit-on, Delpech est l’opposé d’un Sardou bien plus populiste alors. Et si tout cela peut lui sembler un peu vain, il n’en montre rien. En 76, il est […] l’une des vedettes de l’année grâce à sa chanson «Le Loir-et-Cher».»

«Il aurait pu brûler la vie par les deux bouts, poursuit Match, comme Johnny Hallyday ou Claude François. Mais il préfère se poser des questions existentielles. Peu à peu il disparaît des studios d’enregistrement, des plateaux télé, et des galas. Le chanteur a la plume sèche mais sa gorge elle, est assoiffée. Michel plonge. Il en parlera longuement dans son autobiographie: l’alcool, les drogues, la dépression. La traversée du désert commence, doucement mais sûrement. «La maladie, nous dira-t-il, avait fait de moi quelqu’un d’odieux.»

A la RTS dimanche, on a aussi vu cet homme lorsqu’il «était chanteur», en télé noir et blanc. Qui, tout jeune, faisait déjà «partie du patrimoine français». Il se décrivait lui-même comme «antipathique» aux yeux de ceux qui ne le connaissaient pas, «d’un naturel assez timide, peu engageant». Exactement comme il est réapparu ce 3 janvier dans une diffusion d’un Vivement dimanche à lui consacré sur France 2: plutôt distant, observateur, voire froid avec ses copains de duos.

Voilà le grand paradoxe de ce chanteur aux «compositions simples mais soignées», écrit Libération, «délestées de toute posture revendicatrice […], des mélodies au cordeau, une voix chaude qui n’en fait pas des caisses, l’adhésion du grand public ne fait pas un pli. Cependant, l’usage itératif de l’imparfait dans ses titres aurait pu mettre la puce à l’oreille: Michel Delpech couve sous sa panoplie d’entertainer – avec une prédilection pour les tissus blancs, ouverts sur un poitrail de séducteur, que ne lui contestera guère que Joe Dassin – comme un mal-être qui mettra encore quelques années à germer.»

Mais Michel Delpech, c’était aussi «bien», «c’était chouette», comme le dit la chanson. Simple. Et rude aussi. Le Figaro ne s’y est pas trompé, qui rappelle aujourd’hui ce «long parcours de survie» où Delpech «essaie tout ce qui doit être des remèdes et des palliatifs à sa dérive: alcool, drogue, spiritisme, radiesthésie, marabouts et exorcisme, voyance, hindouisme et philosophie chinoise… cures de sommeil enfin.» Puis «le chanteur confie être passé devant une chapelle rue du Bac, à Paris, y être entré et resté plusieurs heures. «Dans la maison de Dieu, où le Seigneur me protège, rien ne peut m’arriver, le diable ne peut pas se déchaîner. Mais une fois dehors, je me sens à nouveau menacé.»

«Le visage de la mélancolie»

L’Obs le dit très bien également: «La silhouette légère voûtée, le visage émacié, un sourire d’une tristesse abyssale, et ce regard d’une gentillesse profonde assombri par d’épais sourcils: Michel Delpech avait le visage de la mélancolie. Et le désespoir chevillé au cœur. Depuis longtemps, très longtemps.» Delpech était la figure du spleen moderne. N’oublions pas que dès 1975, quand il s’impose comme tête d’affiche, il sort aussi – déjà – «Quand j’étais chanteur», «ou l’histoire d’un artiste vieillissant, retraité, fatigué, qui ramène à lui les souvenirs de ses fastes années.»

Prémonitoire? Peu importe. Mais dans le chaos de cette âme, il y avait une cohérence artistique. Alors, quand Michel Delpech, quarante ans plus tard, tourne le clip de la chanson «La fin du chemin», bardé et comme protégé par ses paroles – simples, une fois de plus, directes et sans chichis – d’un croyant à l’Eternel, c’était déjà bien la fin de ce parcours sur terre et dans les cœurs.

Et c’était triste, c’était poignant. C’était déchirant. Il a fallu s’accrocher grave, ce dimanche, en entendant ces mélodies et cette voix chaleureuse tourner, re-tourner, encore et encore, en boucle, comme un vieux 45 tours coincé dans son mange-disque.

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