Cette fois ça y est. La campagne pour les législatives fédérales allemandes de septembre est vraiment lancée. Alors, très «en retard dans les sondages», le candidat du SPD, Martin Schulz, sortirait le «grand jeu». Son idée, qu’a captée Le Figaro? Il «cherche à défier la chancelière allemande», Angela Merkel, qui semble bien partie pour entamer cet automne un quatrième mandat à Berlin. Si l’on peut penser que c’est le moins que son adversaire social-démocrate puisse faire, «le temps de l’euphorie» est pourtant «définitivement passé», comme on a pu le sentir ce week-end lors du congrès du SPD.

Sa tactique? Il s’est «résolu à une campagne plus terre à terre. A trois mois des élections au Bundestag», il a présenté ce dimanche son «programme de gouvernement». Et tous les observateurs se rejoignent sur un point: son discours a été «combatif mais sans élan», avec une seule petite originalité dans la posture politique: au milieu de son intervention, il a «tombé la veste, comme pour signifier, de manière subliminale», qu’il était désormais déjà «au travail».

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A Dortmund où l’ex-président du Parlement européen avait un allié de poids, l’ancien chancelier SPD Gerhard Schröder, Schulz est donc «passé à l’attaque» selon les termes d’Euronews, en accusant notamment Angela Merkel d’«arrogance». Le candidat, dans les faits, «tente de gauchiser son discours» en faisant «référence à la volonté de la chancelière de ne pas participer à un débat public sur les retraites». Car la stratégie d’icelle semble assez claire: pour elle, il s’agit «bien d’éviter les conflits directs et de jouer» sur son «image de stabilité rassurante», en «Mutti» de la nation allemande.

Les sondages disent que les démocrates-chrétiens, «qui gouvernent depuis 2013 avec les sociaux-démocrates au niveau fédéral, pourraient même se passer d’eux dans la prochaine coalition en s’alliant avec les libéraux du FDP, ce qui donnerait un coup de barre à droite à l’Allemagne. Dans un climat d’incertitude généré par le Brexit, l’élection de Donald Trump ou la poussée des populismes», elle paraît indéboulonnable, même après douze ans à la chancellerie.

Alors, les statistiques s’affolent dans un pays qui se fait fort, depuis 1945, de donner l’exemple en matière de démocratie équilibrée et confédérale. Mais ce n’est qu’une apparence. En réalité, si Angela Merkel est réélue et qu’elle exerce son mandat jusqu’au bout, elle aura duré plus longtemps au poste que Konrad Adenauer, lequel a passé quatorze ans et un mois à la chancellerie. Mais en théorie – cela dépendra de la tournure des événements en 2021 – ce sera encore Helmut Kohl, tout récemment disparu, qui aura exercé le plus long mandat gouvernemental depuis Otto von Bismarck.

Du symbole dans l’air

Il y a donc du symbole dans l’air. Même la très intellectuelle Tageszeitung, qu’on ne soupçonnera pas d’être de connivence avec la droite, brossait un portrait au vitriol du candidat SPD après la «cuisante défaite» de son parti aux régionales de Rhénanie-du-Nord-Westphalie face à la CDU, il y a un peu plus d’un mois. Courrier international a traduit cet article en français, qui commence plutôt mal: «Dans la maison Willy-Brandt à Berlin» – autre symbole! – «sous l’objectif d’une caméra de la ZDF, Martin Schulz affiche une mine fatiguée. De profondes rides creusent son visage.»

Le climat est lourd. Ce scrutin est «une humiliation» pour lui, le Rhénan. «On se demande à la fois si et comment le patron de la gauche allemande» va s’en remettre. «Land le plus peuplé d’Allemagne, la Rhénanie et ses 13,1 millions d’électeurs semblent en effet avoir condamné les ambitions nationales du SPD. […] Schulz doit à présent sauver ce qui peut encore l’être.» Car «l’établissement du programme semble également quelque peu chaotique. […] Schulz a visiblement eu du mal à imposer des thèmes.» Plus d’un mois après la claque prise à Düsseldorf, il demeure «urgent» qu’il «étoffe son discours», car «en Rhénanie, les électeurs ont estimé que la CDU était la plus compétente sur des questions cruciales comme la lutte contre la criminalité, la politique commerciale et l’éducation».

Du vent dans les voiles des eurosceptiques

Si l’on remonte encore un peu dans le temps, au tout début du printemps, la situation n’était pas meilleure. A lire la sélection qu’avait faite Eurotopics de quelques articles de presse, «une victoire de Martin Schulz aux législatives serait de mauvais augure pour les pays d’Europe centrale», redoutait Mladá fronta dnes, en République tchèque: «L’ascension de gens comme Schulz ne peut que souffler dans les voiles des eurosceptiques. Sur ce chapitre, dès son premier discours après avoir été élu par 100% des votants, Schulz n’a pas déçu. Il a choisi une poignée de pays qu’il a ensuite déclaré être les ennemis de la liberté et de la démocratie. Il a commencé par la Turquie, ce qui se justifie. Mais il a continué avec la Hongrie et la Pologne, deux solides démocraties d’Europe centrale, qui ont eu le toupet de se choisir des gouvernements conservateurs.»

Schulz serait «l’ennemi idéal d’Orbán» à Budapest, selon Magyar Nemzet: «Tous deux ont été élus «grand manitou» de leur parti à une majorité écrasante; tous deux sont d’une grande pugnacité verbale en politique; et tous deux ont désespérément besoin d’une bête noire.» Mais la «ferveur indéniable» de l’Allemand ne sera pas un élément «déterminant», assure la Süddeutsche Zeitung, et, «dans un contexte politique mondial délicat, marqué par les simagrées autoritaires, le laconisme émotionnel de Merkel est un atout».

Dans la foulée de Macron

On le disait, Schulz a un retard monstrueux, qu’il tente désespérément de rattraper sur le plan continental, explique L’Opinion. Il «a inclus une réforme des institutions de l’UE dans son programme. Il défend de longue date ces transformations.» Car ses adversaires de la CDU occupent aussi «depuis peu ce terrain, dans la foulée de l’élection d’Emmanuel Macron». A Dortmund, il n’a donc pas pu «s’empêcher de sortir le livre d’histoire. En 1925, au congrès de Heidelberg, les délégués du SPD s’étaient prononcés pour les Etats-Unis d’Europe, marqués par l’expérience de la Première Guerre mondiale»…

Mais cette «manière de souligner la tradition dans laquelle s’inscrit sa formation politique et sa campagne près d’un siècle plus tard» suffira-t-elle? «L’ex-président du parlement européen veut une refondation d’une Europe de paix, de liberté, de sécurité.» C’est «le combat de toute ma vie», dit-il. Bien. Mais c’est loin d’être sûr que les électeurs allemands jugent en septembre que ce combat-là mérite de lui offrir la chancellerie de Berlin.

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