Choc. Erika Moura, la nouvelle égérie du Carnaval de Rio, qui commence ce vendredi, présentée par Globo, la plus grande chaîne de télévision brésilienne, n’est pas nue. Dans la cité carioca, la Globeleza, contraction de Globo, le média en question, et du mot «beauté» en portugais (beleza), est une véritable institution: chaque année depuis 1991, une jeune fille, le plus souvent noire, jeune et jolie, danse la samba dans son plus simple appareil, le corps recouvert seulement par quelques touches de peinture. Mais l’apparition de la version 2017 de la nouvelle muse dans ce petit clip… en costume folklorique, a été largement commentée dans la presse locale pour sa «pudeur»:

De fait, la Globeleza new-look n’est pas le seul signe d’un retour de moralisme dans une fête traditionnellement connue et marquée par tous ses excès, huit jours durant. Il faut savoir en effet que le nouveau maire de la célèbre ville brésilienne, Marcelo Crivella, pasteur évangélique élu en octobre dernier, pourrait bien passer le temps du carnaval loin de Rio, qui recevra plus d’un million de touristes pour l’occasion, jusqu’au samedi 4 mars.

Les rumeurs de l’absence de l’édile n’ont pas été confirmées, mais une chose est sûre: ce n’est pas lui qui remettra ce vendredi les clés de la ville au Roi Momo, monarque bien enveloppé et haut en couleur qui est censé incarner toute la folie du carnaval. Il a préféré déléguer cette tâche à son premier adjoint, Fernando Mac Dowell. Marcelo Crivella, dont l’oncle milliardaire a fondé l’Eglise universelle du royaume de Dieu, serait le premier maire de l’histoire de Rio à s’absenter pendant la manifestation. C’est un sacré changement par rapport à son prédécesseur, Eduardo Paes, habitué des défilés où il adorait apparaître sous son panama, jouant du tambourin.

«Je comprends qu’il n’aime pas danser la samba à cause de sa religion, mais sa présence est obligatoire», a critiqué dans les colonnes du journal O Globo Cesar Maia, lui aussi ancien maire et gouverneur de Rio. Pourtant, le fait que la ville soit gouvernée par un conservateur est loin de justifier à elle seule la tendance moins dénudée, et le personnage de la Globeleza fait l’objet depuis toujours de critiques de la part d’activistes, car elle représenterait un stéréotype: celui de la femme noire lascive. En 2014, par exemple, la danseuse choisie avait été jugée «trop foncée» sur les réseaux sociaux, indique l’Agence France-Presse:

Cette année marque donc un véritable tournant, avec une égérie habillée, soi-disant «pour enrichir le personnage». Mais «la réaction positive du public nous montre que nous sommes sur le bon chemin», indique O Globo. «Ça fait des années que le mouvement féministe noir demande ce changement», rappelle Luana Génot (voir ici sa page Facebook), fondatrice de l’Institut ID-BR (Identités du Brésil), une ONG qui se bat pour l’égalité entre les races: «Nous luttons pour que les femmes noires ne soient pas réduites à ces stéréotypes. Les Noirs éteignaient leur télévision, pour montrer qu’ils ne voulaient plus être représentés de cette façon», dit-elle.

Mais ce n’est pas tout, car un mouvement féministe a aussi inventé une nouvelle chanson pour ce carnaval 2017: «Peu importent les vêtements que tu mets, je ne te toucherai que si tu consens», clament ses deux interprètes, Bruna Caram et Chico César:

Les paroles de grands classiques du carnaval ont également été revisitées, pour supprimer tout relent machiste, raciste ou homophobe. Même le terme «mulata» (mulâtre), a été banni par certains groupes, à cause de son origine, celle du mot «mule». C’est vraiment «quelque chose de nouveau»: «Beaucoup de gens en parlent depuis des années, mais pas autant qu’aujourd’hui», remarque Débora Thomé, fondatrice du groupe de rue Mulheres Rodadas, qui lutte notamment contre le harcèlement des femmes, explique le magazine Estilo de vida.

Sur l’autre bord, le compositeur João Roberto Kelly, auteur de classiques comme «Maria Sapatão» («Maria la gouine») accuse les féministes de gâcher la fête. «Je n’avais jamais vu autant de censure depuis la dictature», déplore-t-il dans le quotidien Estado de São Paulo.

L’Observateur chrétien, de son côté, reprend l’essentiel d’un article du Washington Post«Less skin, more God and no racism» – pour expliquer que «l’Eglise évangélique du Brésil, de plus en plus puissante, et ses mouvements progressistes poussent tous deux à redéfinir le Carnaval pour qu’il corresponde à leurs priorités souvent opposées. Comme signe des temps, la ville brésilienne d’Olinda, célèbre pour son festival de rue, se voit dotée» de deux nouvelles «zones»: une «zone gospel» et une «zone LGBT». Car «aujourd’hui, près d’un quart des Brésiliens s’identifie comme évangélique, contre 5% en 1970».

Silas Malafaia, un des plus célèbres pasteurs évangéliques du Brésil – à découvrir sur Gospel Prime – a de plus averti sur son site, celui de l’Associação Vitória em Cristo, que «cette fête de la chair a des conséquences dégradantes physiques, morales et spirituelles. Il n’est pas approprié pour un chrétien d’y participer». Tandis que «d’autres chrétiens, convaincus que le carnaval est impossible à éviter, tentent aussi de le transformer […]: dans la ville de Salvador, plusieurs groupes défileront avec des chansons chrétiennes, comme Christafari, un groupe de gospel reggae»:

«Cette transformation est une preuve que les chrétiens peuvent influencer leur société et qu’ils devraient être acteurs de l’évolution des mœurs plutôt que simple spectateurs», conclut L’Observateur chrétien. Amen.

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