Pour les fans, c’est un rendez-vous qu’ils ne manquent évidemment jamais à la mi-mai, ce Concours Eurovision de la chanson. Seulement voilà, cette année, l’édition 2020 aurait dû être la 65e, avoir lieu du 12 au 16 mai à Rotterdam, aux Pays-Bas, à la suite de la victoire de Duncan Laurence en 2019. Mais avec la pandémie de Covid-19, l’UER a décidé de tout annuler. C’est la première année depuis la création du concours en 1956 que celui-ci «tombe».


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D’ailleurs, depuis une décade, la salle de concert dans laquelle il devait se dérouler accueille des dizaines de patients atteints de la maladie pour soulager la charge des hôpitaux néerlandais. Alors, faute de grives, on va manger les merles chanteurs de 13 ou 14 pays – ce n’est pas clair – qui vont s’affronter dans un concours de chansons créées par intelligence artificielle.

L’Australie, par exemple, mise sur sa mélodie composée… de sons de koalas et de diables de Tasmanie. Bonjour l’AI Song Contest, que présente Courrier international et dont le premier couac est que le site internet dédié… ne fonctionne pas à l’heure actuelle. Ça promet! On ne trouve d’ailleurs actuellement aucune information sur la «chanson» helvétique dans les méandres du Net.

C’est scientifique!

Sponsorisée par Vpro, un groupe audiovisuel public des Pays-Bas, la compétition est ouverte aux passionnés de musique choisis parmi des ingénieurs, des scientifiques spécialistes des données et des programmeurs informatiques. Au sein des élus, «cinq chercheurs spécialisés dans la modélisation, la visualisation et l’analyse de la musique par ordinateur, issus des universités d’Amiens et de Lille, qui défendront les couleurs de la France» face à une bonne partie de l’Europe, explique France 3 Région Hauts-de-Seine, dont les Pays-Bas, l’Allemagne, la Belgique, la Grande-Bretagne, la Suisse et la Suède.

Comment ça marche? «Jusqu’au 10 mai, le public choisit le titre qu’il préfère en notant quatre critères: la chanson en général, les paroles, l’originalité, et si le style correspond à ce qui est attendu d’un concours comme l’Eurovision. Un jury de spécialistes évaluera également la partie intelligence artificielle.» Les résultats seront annoncés deux jours plus tard. La chanson qui aura remporté le concours passera sur les ondes de la radio néerlandaise.

Pour la structure du titre représentant la France, les chercheurs ont par exemple «utilisé un corpus de plus de 400 titres où les différentes parties des morceaux étaient annotées»: «On a fait correspondre les annotations de ces structures avec celles des morceaux de l’Eurovision pour avoir les mêmes parties», explique Florence Levé, dont le travail est également détaillé sur le site du groupe de recherche Algomus.

Très dance et très démodé

Tout bien compris? Nous avec peine. Mais en gros, «les candidats ont été invités à écrire des programmes d’intelligence artificielle ou à adapter des programmes existants pour créer des paroles, des mélodies et des harmonies pour des chansons d’une durée maximale de trois minutes chacune». Une sorte de remix très dance, en fait, avec des sonorités technos très démodées, mais avec la contrainte, en revanche, de devoir présenter les algorithmes, les modèles utilisés et fournir des explications sur le processus créatif, lit-on dans la revue Science. Ce qui donne tout de même quelque crédibilité à cette drôle d’idée à en juger par cette insipide création australienne:

«Beauty in dark times», dit pourtant le site Mirage.news... Autrement dit, un peu de poésie dans ce monde de brutes. Mais surtout «un challenge à la fois artistique et technologique qui devrait amuser les amateurs du genre. Mais attention, il ne s’agit pas d’une blague de potaches», prévient le site CNews.fr, car – on l’a vu – les règles sont «strictement édictées, avec pour but de faire avancer la recherche dans ce domaine».

Un domaine où le vocabulaire compte. Pour la Belgique, par exemple, c’est «une scale-up louvaniste» qui participera. Sans aucune perspective de «récompense financière», le concours ayant pour «but d’examiner le degré de créativité de l’intelligence artificielle». L’équipe belge de Dataroots a elle aussi «développé pour le projet un algorithme alimenté par les données de 200 éditions du concours Eurovision de la chanson», indique le site Datanews.levif.be. Celui-ci a «appris à connaître les éléments d’une chanson à succès» pour l’Eurosong:

Sans surprise, avec «une préférence pour des textes à charge émotionnelle», explique le chef de projet, Dorian Van den Heede. «La pochette musicale sur Spotify a également été générée par un réseau neural, à savoir des algorithmes qui imitent la structure des neurones cérébraux.» On prend tout ce qui existe déjà, en somme, l’algorithme mélange tout ça puis en restitue une sorte de bouillie musicale qui vaut ce qu’elle vaut. Et voilà «le son de la musique pendant une pandémie», se moque un peu le site Ze-mag.info dans un article plus général consacré aux partitions artificielles:

Elles compressent trop la musique et le son qui en résulte est assez horrible

Les Australiens, encore eux, ont donc utilisé «un processus d’apprentissage automatique appelé DDSP (traitement du signal numérique différenciable) pour mélanger des échantillons audios d’animaux dans le but de créer «un morceau fortement synthétisé qui renvoie aux créations musicales alimentées par la drogue des années 1960. Et les paroles assez aléatoires sonnent comme ça: sous acide.


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