Les sites et applications de rencontre ont enregistré une augmentation des interactions depuis le déclenchement des mesures de confinement et de distanciation sociale prises pour lutter contre l’épidémie de coronavirus. La Suisse ne fait pas exception, avec un regain d’activités sur ce type de plateformes au mois de mars, annoncent les agences de presse. Mais «comment draguer si on ne peut même plus se rencontrer? Face à cette question, les cyberprofessionnels de l’amour tentent d’apporter des réponses à leurs célibataires», dit Nice-Matin.

«S’adapter», c’est le maître mot qui cache une frilosité à révéler, au contraire, une déroute de ces sites sur la durée. Car une chose a changé, et pas des moindres: fini «les plans Q» vite fait! La contrainte de rester chez soi, la fermeture des bars, discothèques, salles de sport et de la plupart des lieux publics qui sont habituellement propices aux rencontres laissent les célibataires de Suisse plus seuls que jamais. La tentation est donc bien réelle de se rabattre sur le virtuel, même si les chiffres sont parfois contradictoires et que certaines plateformes hésitent évidemment à communiquer sur une éventuelle baisse d’audience.

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«Et si ce contexte particulier était finalement le meilleur moment pour aller sur les sites de rencontre?» C’est ce qu’estime Judith Duportail, autrice de L’Amour sous algorithme (Ed. Goutte d’Or), qui s’est confiée au site Aufeminin.com. «On va être obligé de prendre son temps! Plus question de se rencontrer au bout de deux messages, de s’emballer à la fin de la première pinte et de juger si l’autre mérite une vraie place dans notre vie en quelques heures», écrit-elle aussi sur Twitter.

«Les personnes qui cherchent une relation d’un soir risquent de vite s’ennuyer» et donc de prendre la poudre d’escampette. «Mais les plus sentimentales et celles qui cherchent une relation durable vont revoir leur approche. Un mal pour un bien?» se demande-t-elle encore. Quoi qu’il en soit, par ennui, besoin de compagnie ou rêve de trouver l’amour, les utilisateurs de Tinder ont été beaucoup plus actifs au cours des dernières semaines. L’application a ainsi annoncé il y a quelques jours une augmentation des conversations et de leur durée. En Allemagne, elles ont progressé de 33% et ont duré 17% plus longtemps, selon une moyenne réalisée entre le 20 février et le 2 mars. Les chiffres pour la Suisse ne sont pas disponibles.

En outre, le dimanche 29 mars, le nombre de swipes – le fait de faire défiler les profils des célibataires sur l’application – a atteint 3 milliards au total dans le monde, un chiffre sans précédent dans l’histoire de l’entreprise. Autres grands acteurs de la rencontre en ligne, Parship et ElitePartner ont également enregistré une «tendance positive», avec une légère progression des inscriptions. «Mais il est trop tôt pour fournir des chiffres concrets ou en déduire une tendance générale.»

«Dans la mesure où les gens ne peuvent pas sortir pour se rencontrer, les rencontres virtuelles sont le seul moyen actuellement pour faire de nouvelles connaissances, même si c’est seulement par message, téléphone ou vidéo», indique-t-on chez ces opérateurs. «Cela a néanmoins ses avantages, car le processus de rencontre se trouve ralenti: les gens prennent leur temps pour communiquer et apprendre à se connaître au lieu de se précipiter et se rencontrer après deux courriels.» Qualité vs quantité.

Le secteur ne connaît pas la crise

Dans une analyse, John Plassard, directeur adjoint chez Mirabaud Banque, a attiré l’attention des investisseurs sur le potentiel du marché des applications de rencontre, qui sera probablement épargné par la récession en raison de la pandémie mondiale. Les recettes devraient en effet progresser annuellement en moyenne de 4,2% dans ce secteur selon lui, qui s’exprime dans L’Agefi. Interrogés par la rédaction de Lesnumeriques.com au tout début du confinement, «les services de communication de ces entreprises étaient encore timides à divulguer leurs chiffres».

Des termes «bienveillants»

Tinder explique par exemple avoir constaté «une augmentation de 10 à 30% de termes bienveillants dans les bios de nos membres». Parmi eux, on trouve des «restez chez vous», «fais attention à toi», «distanciation sociale», «comment ça va?», «lavez-vous les mains» et même «papier toilette». «Aussi étonnant que cela puisse paraître», commente John Plassard. Mais cela ne veut pas encore dire que les réflexes de se rencontrer «pour de vrai», voire de passer à l’acte, ont complètement disparu, comme le prouve ce témoignage recueilli par Le Temps dans le podcast Message viral (à 3'):

En outre, le marché devrait connaître des bouleversements prochainement. Dominé par Match et ses 45 marques, dont Tinder et Meetic, l’arrivée de Facebook, qui a lancé sa propre application de rencontre, Facebook Dating, dans une vingtaine de pays, pourrait redistribuer les cartes. En Europe, le lancement a néanmoins été retardé en raison d’un examen de la Commission de la protection des données en Irlande.

Bref, plus de conversations et de temps pour se connaître: face au coronavirus, les sites de rencontre américains découragent désormais les rencontres en personne et encouragent la parole, une mini-révolution saluée par les femmes. «Ce n’est PAS le bon moment pour aller dans un bar avec quelqu’un que vous avez rencontré», a twitté à la mi-mars OkCupid, l’un des principaux acteurs du marché:

«Utilisez FaceTime, Skype, les SMS, les appels, la messagerie de votre app… Tout ça est très romantique en ce moment.» L’appli Once, quant à elle, «met à disposition une nouvelle fonctionnalité gratuite pour permettre de rencontrer son match en live video. L’option sera disponible seulement si les deux parties ont échangé à l’écrit avant et ont consenti à la rencontre vidéo.» «Je parle depuis quelques semaines avec un mec avec qui j’ai bien accroché, on avait prévu un rendez-vous, mais le confinement est arrivé juste avant», avoue Mathilde, 26 ans, à Aufeminin.com…

date video

Celles et ceux qui utilisent les apps Tinder, Bumble ou Hinge disent avoir rencontré de nouvelles personnes en ligne depuis que le coronavirus est venu s’en mêler. Et blaguer sur cette calamité est devenu l’accroche numéro un, même si son efficacité reste à prouver. Car «si ça donne l’impression que la personne ne prend pas la crise au sérieux ou qu’elle s’en moque, ça ne va pas fonctionner pour moi», explique par exemple l’humoriste et auteure Lane Moore.

Cette New-Yorkaise, qui a créé un spectacle appelé Tinder Live! dans lequel elle utilise l’app en direct et improvise, voit dans la période actuelle une belle occasion. Beaucoup d’hommes qu’elle rencontre sur Tinder veulent souvent écourter la conversation, dit-elle, à la faveur d’un rendez-vous en chair et en os. «Mais nous sommes à une époque où il va falloir continuer à discuter», prévient-elle.

Le site de rencontres Coffee Meets Bagel (CMB) a proposé, lui, plusieurs idées d’interactions originales à distance, comme la Videogames Date, où deux personnes communiquent en jouant ensemble en ligne, rapporte l’AFP. «Nous essayons d’aider les utilisateurs à être plus créatifs», dans la limite des contraintes actuelles, explique Dawoon Kang, codirectrice de CMB.

De «OK Boomer» à OKZoomer

«La distanciation sociale nous permet de nous concentrer sur les conversations et de consolider des relations ou d’en entamer de nouvelles», fait valoir Ileana Valdez, étudiante à l’Université de Yale. Avec cinq autres personnes, elle a monté, en quelques heures, un site de rencontre pour étudiants, dont les cours sont souvent suspendus et les campus désertés, raconte le magazine Rolling Stone. Ce site, baptisé OKZoomer en clin d’œil à l’expression populaire «OK Boomer», a eu un succès fulgurant.

«Une relation qui aura du sens»

Pour cette étudiante en informatique, les grands sites de rencontre sont «dominés par la recherche du coup d’un soir». Profitant de la conjoncture exceptionnelle, OKZoomer permet, dit-elle, «aux gens de discuter d’abord et de poser les bases d’une relation qui aura du sens». L’algorithme créé par OKZoomer ne privilégie ainsi pas la proximité géographique, contrairement aux sites de rencontre en ligne traditionnels.

Les Etats-Unis voient aussi naître d’autres sites, plus professionnels, comme Quarantine Together, qui propose des mises en relation à distance, avec une connotation amoureuse. Son slogan? «Rapprochez-vous même quand vous ne pouvez pas vous approcher». Car «socialement, cette situation est atroce», selon 20 Minutes. «Désarçonnés face à la quarantaine imposée, les célibataires en mal de rencontres vivent très mal la solitude. Certains parlent même d’un début de dépression.»

Voilà pourquoi, peut-être, fine analyste de Tinder et des sites de rencontre, Lane Moore ne croit pourtant pas à une révolution du dating. Elle conclut:

J’imagine que quand tout ça se sera calmé, les hommes qui ne voulaient pas avoir de conversation repasseront aux réponses monosyllabiques…

Dans le gratuit romand, Cynthia témoigne. Cette Lausannoise de 40 ans, «qui recherche l’âme sœur «sans plus tellement y croire» est active sur les sites de rencontre depuis quelques mois pour tromper la solitude. […] C’est avec étonnement et effroi que la Vaudoise a noté que la plupart de ses prétendants en ligne semblent ne pas prendre en compte les restrictions des autorités: «Encore ce matin, je recevais une proposition indécente que je n’ai évidemment pas acceptée. Cet homme me demandait de venir chez lui. Comme s’il occultait la situation. Je suis choquée.»


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