Le dernier sondage réalisé pour ABC News et le Washington Post donne donc un point d’avance à Donald Trump contre Hillary Clinton dans la course à la Maison-Blanche de mardi prochain. «Quoi qu’il arrive», les Américains se réveilleront le 9 novembre – c’est plus sûr que jamais – «dans un pays déchiré», craint La Presse québécoise. Bon, on peut aussi penser que «la candidate démocrate, qui faisait office de grande favorite jusqu’à la semaine dernière, reste la probable prochaine présidente des Etats-Unis: elle conserve 88% de chances de gagner […], selon le modèle du New York Times, et 71% selon celui du site FiveThirtyEight».

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Le problème, c’est «le rebondissement du week-end, avec la relance par le FBI de l’affaire de ses courriels» qui «l’a forcée à changer de script pour la dernière ligne droite, en revenant aux attaques au vitriol contre l’impulsivité et l’impréparation de son adversaire, au lieu d’un message plus positif de mobilisation et de rassemblement». Trump à 46%, elle à 45%, c’est «une quasi-égalité statistique». Même si d’autres sondages conservent «l’avantage à la démocrate, la tendance est au resserrement». En attendant, L’Express précise que «le milliardaire s’est félicité de ce résultat sur Twitter, assurant que sa remontée dans les sondages datait même d’avant la réouverture du dossier»:

Libération, dans ce contexte, titre à la une: «La campagne la plus dingue de l’histoire». Et dans son éditorial du jour, le quotidien français soutient que «rarement depuis la fin de la Guerre froide, l’issue d’une élection présidentielle américaine n’a autant été scrutée et redoutée. […] Rarement une fin de campagne – qu’on pensait pliée – n’a été aussi dingue en révélations crapoteuses et rocambolesques. Rarement une élection, dont les enjeux débordent largement du simple choix entre deux personnalités, n’a été le théâtre d’aussi étonnantes opérations de déstabilisation.»

Un «coup de tonnerre»

La Croix juge de son côté que si l’impact électoral de l’affaire des courriels «reste difficile à mesurer, il pourrait être décisif dans des Etats très contestés, comme l’Arizona». Car depuis le 28 octobre, ils ne quittent plus la une de la presse américaine, ces e-mails, et «les éditorialistes de droite tirent à boulets rouges sur Hillary Clinton, coupable au mieux de légèreté; ceux de gauche harcèlent James Comey, le directeur du FBI, accusé de perturber le bon déroulement du jeu démocratique. Jamais les Etats-Unis n’avaient connu pareil coup de tonnerre à quelques jours d’un scrutin présidentiel, rappellent les uns et les autres.»

«Trump ne peut pas gagner, mais Clinton peut perdre»

Dans un article au titre fabuleux – «Trump ne peut pas gagner, mais Clinton peut perdre» –, Le Monde raconte que la lettre de Comey relançant l’enquête «a pris de court le camp démocrate» qui, pour Halloween, «voit réapparaître le spectre ricanant de la déroute». Car «une adolescente de Caroline du Nord a pris l’avantage sur les femmes blanches diplômées. […] Cette pauvre enfant, une mineure dont on ignore l’identité, aurait reçu des messages suggestifs de l’ancien représentant de l’Etat de New York, Anthony Weiner, multirécidiviste du sexting, ce qui aurait attiré l’attention de la police fédérale. Cette dernière serait remontée à la source, un ordinateur que l’ancien espoir démocrate partageait avec sa femme d’alors, Huma Abdedin, la «seconde fille» de Hillary Clinton, l’une de ses plus proches conseillères depuis vingt ans.»

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Depuis, une catégorie d’Américains est plongée «dans les affres». Elle «est composée de tout ce que le pays compte de scénaristes. Ces malheureux se demandent s’ils pourront imaginer un jour, pour les besoins d’un film ou d’une série, une campagne plus inattendue, plus indécise et plus âpre. […] Au terme des trois débats présidentiels organisés, il était tout de même apparu que le candidat républicain Donald Trump, agent du changement, n’était pas tout à fait préparé pour exercer les fonctions de président.»

Mais sa rivale peut tout de même perdre. «Parce qu’elle est Hillary Clinton, un Janus compétent qui n’inspire ni l’empathie ni la confiance.» Et de conclure que «la campagne s’achève exactement là où elle a commencé. Comme si de longs mois de débats et de meetings avaient été organisés en vain. Comme si des millions de dollars avaient été dépensés en pure perte. Comme si la démocratie américaine devait se contenter de cette âcre bataille de mal-aimés.»

Une semaine avant, en 2012, Romney était en tête

Cette élection s’avère donc «finalement plus indécise que prévu» et «n’a certainement pas encore livré toutes ses surprises», pour Franceinfo. N’oublions pas, cependant, qu’aussi serrée qu’elle soit, «les préférences de vote une semaine avant le scrutin ne reflètent pas forcément le résultat final. Mitt Romney menait d’un point devant Barack Obama dans des résultats de sondages comparables en 2012 par exemple», met en gard les Langer Research Associates, cités par RTS Info.

Mais dans le fond, pourquoi l’élection est-elle si serrée? Un long commentaire de Project Syndicate repris par L’Orient-Le Jour à Beyrouth dit que «beaucoup de gens se demandent probablement pourquoi Hillary Clinton – à l’évidence mieux préparée et plus apte à présider des Etats-Unis que son rival Donald Trump – ne vole pas à tire-d’aile vers la victoire. […] Les sondages d’opinion nationaux pourraient continuer à fluctuer jusqu’à l’élection. […] Depuis les conventions des deux grands partis, en juillet, chaque candidat a successivement enregistré des gains et des pertes», mais «la dernière progression de Trump dans les sondages en dit moins sur la crédibilisation de sa candidature que sur les propres faiblesses de Clinton.» Conclusion: «Il serait imprudent de considérer que celles-ci sont déjà jouées.»

«Boules puantes» et «sorties de cadavres»

Le Monde, lui, rappelle aussi que la «surprise d’octobre» constitue une «tradition politique américaine» et que «de 1968 à 2016, les dernières semaines de campagne ont souvent été marquées par des boules puantes, la sortie de cadavres oubliés dans des placards ou la survenue d’un événement qui vient bouleverser le cours du scrutin». D’ailleurs, le magazine en ligne Slate.fr «se demandait si l’on en aurait bien une. Finalement, on en a eu deux. Deux surprises d’octobre. Entre la vidéo de Donald Trump qui parlait d'«attraper les femmes par la chatte», et la révélation par le patron du FBI […], les médias américains s’en sont donnés à cœur joie avec l’expression.»

«Sex scandals. Natural disasters. Arrests. War. Peace»: la «surprise d’octobre», résume USA Today, «ce peut être un scandale sexuel, une catastrophe naturelle, des arrestations, une guerre, la paix, une prise d’otages qui tarde à se résoudre… faites votre choix.» Pour montrer l’influence que peuvent avoir ces événements de dernière minute «dans la culture politique populaire, la série The West Wing s’était inventé sa propre «October surprise» dans sa septième et ultime saison.»

Un autre événement peut se produire encore…

Mais «contrairement à ce que l’on pourrait penser», ces surprises de fin d’élection n’ont qu’un faible impact «sur les sondages (d’un à deux points en moyenne), et donc sur le résultat d’une élection», souligne FiveThirtyEight, qui s’est intéressé à leur influence, justement: «Plus un choc externe a lieu tard dans une campagne, plus les électeurs ont déjà fait leur choix, et plus les avis sont déjà faits sur les candidats. En d’autres mots, les surprises d’octobre ont moins d’impact simplement parce qu’elles ont lieu en octobre.»

Mais de là à dire que la course est «forcément promise à Hillary Clinton, […] il y a un gouffre que le site spécialisé dans l’analyse des sondages ne semble vraiment pas décidé à franchir. […] Il y a toujours une chance que les sondages se trompent, ou qu’un autre événement se produise d’ici au 8 novembre.»

«Aller voter en se bouchant le nez»

Et puis il y a les abstentionnistes, comme le relevait L’Humanité il y a une dizaine de jours, qui soutenait imprudemment que c’était «la seule inconnue» du scrutin. «Généralement élevé aux Etats-Unis», l’abstentionnisme «pourrait battre des records le 8 novembre en raison de la piètre qualité des arguments échangés par les deux protagonistes, qui se sont le plus souvent limités à la critique, voire aux insultes». Plus que jamais, «les électeurs de la présidentielle vont devoir aller voter en se bouchant le nez», soulignait récemment l’historien spécialiste des Etats-Unis André Kaspi sur les ondes de France Inter.

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