A l’indignation générale, un bombardement aux gaz toxiques a donc fait mardi au moins 72 morts, dont 20 enfants et 17 femmes, et quelque 250 blessés parmi les civils de la ville de Khan Cheikhoun, en Syrie, selon les chiffres de l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), organisation proche de l’opposition. Mais ces chiffres sont à prendre avec des pincettes, ils varient considérablement selon les sources d’information.

De nombreux enfants ont notamment été saisis de convulsions et peinaient à respirer au cœur de cette cité rebelle; des symptômes typiques du gaz sarin, qui ont également touché «des adultes âgés haletants, respirant avec difficulté, ou gisant dans la boue, immobiles». Un membre de la défense civile syrienne a aussi inscrit dans son rapport que, lorsqu’ils se sont rendus sur les lieux, cinq des volontaires ont «commencé à présenter des symptômes d’exposition à une substance toxique».

Et comme si cela ne suffisait pas, l’hôpital dans lequel les rescapés ont été évacués a été bombardé. Du coup, les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni ont présenté un projet de résolution au Conseil de sécurité – qui se réunira ce mercredi – condamnant cette attaque et appelant à une enquête complète et rapide. Ce mercredi matin, les agences disent qu’en représailles, «l’aviation syrienne a frappé un «entrepôt» des rebelles contenant des substances toxiques», selon le contrôle aérien de Moscou, près de Khan Cheikhoun.

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«Les images saisies sur place, ainsi que le récit des services de secours», selon Courrier international, indiquent donc qu’on peut dès lors se passer de l’adjectif «présumé» qualifiant cette attaque, encore en usage dans de nombreux médias. Oui, c’est bel et bien «l’attaque chimique la plus meurtrière qu’ait connue la Syrie depuis des années», note le New York Times (NYT). L’envoyé spécial des Nations unies pour la Syrie, Staffan de Mistura, confirme.

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C’est également «la première atrocité majeure attribuée au gouvernement syrien depuis que Donald Trump a pris ses fonctions», indique le même quotidien. «Or, il y a quelques jours à peine, des représentants du gouvernement américain ont indiqué que le départ de Bachar El-Assad du pouvoir n’était plus une priorité, et que les efforts de Washington se concentreraient sur la lutte contre l’Etat islamique.»

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«Les attaques au chlore sont courantes dans le nord de la Syrie, poursuit le NYT, mais celle-ci était différente, ont déclaré des témoins et soignants, remarquant que celles-ci ne tuent généralement que quelques personnes, souvent celles qui se trouvent dans un espace clos. Et le gaz se dissipe ensuite rapidement. Cette fois, des personnes beaucoup plus nombreuses se sont effondrées, et ce en milieu ouvert.»

Le Figaro ajoute que «d’après l’OSDH, les victimes sont décédées en raison des effets» d’un gaz non encore identifié, «notamment par suffocation». Il parle «d’évanouissements, de vomissements et de présence de mousse dans la bouche des victimes». Le bilan n’a d’ailleurs «cessé de s’aggraver» durant la journée «au fur et à mesure que les victimes, toutes des civils, succombaient après avoir été transportées dans les hôpitaux. […] De son côté, le site pro-opposition EMC (Edlib Media Centre) a diffusé plusieurs photos de personnes recevant des traitements, écrit la BBC, qui précise ne pas pouvoir confirmer l’authenticité de ces images»:

Si le régime syrien dément toute implication dans l’attaque, il apparaît clair que celle-ci «remet en cause» le processus de paix entre le régime et ses adversaires, affirme le négociateur en chef de l’opposition à Bachar el-Assad. Et des groupes de rebelles syriens, dont l’ex-branche d’Al-Qaida, ont promis de venger les victimes, demandant à leurs combattants d'«embraser les fronts».

Pendant ce temps, à Bruxelles, où débute en ce moment une conférence internationale sur «l’avenir de la Syrie», la cheffe de la diplomatie de l’UE, Federica Mogherini, a affirmé que le régime d’Assad portait la «principale responsabilité» des événements, dans le sens où, «évidemment, […] elle repose sur le régime parce qu’il doit protéger son peuple et non l’attaquer», tandis qu’à Damas, on parle de «calomnies».

Tillerson pointe l’administration Obama

De son côté, le secrétaire d’Etat américain, Rex Tillerson, a prévenu que le président syrien devrait «rendre des comptes» en exhortant la Russie et l’Iran à mettre au pas leur allié, alors que la Maison-Blanche prétend que «ces actes de haine commis par le régime de Bachar El-Assad sont le résultat de la faiblesse et de l’indécision de la précédente administration» américaine. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, est du même avis.

Mais au-delà des horreurs, relève France Culture, «l’ONU a fini l’année 2016 sans financements pour près de la moitié de ses programmes liés au conflit syrien», qu’elle a pourtant décrit comme «la pire catastrophe provoquée par l’homme depuis la Seconde Guerre mondiale», rapporte le Washington Post. Dans ce contexte, l’Union européenne en complète contradiction avec l’Administration Trump sur le rôle de Bachar al-Assad, souligne un texte d’opinion publié par le Guardian.

«Dans une guerre, tout est possible»

Bref, «l’indignation est unanime, la désignation des coupables un peu moins», résume Le Parisien, et «bien qu’il soit difficile de se faire une idée exacte de ce qui s’est passé» mardi lors de cette attaque, fait remarquer L’Humanité, «on sait que, dans une guerre, tout est possible de la part de tous les protagonistes». Le problème est que ces événements, «tragiques et insupportables» selon les Occidentaux, «menacent de remettre en cause les pourparlers de paix, pourtant peu avancés. Or, quels que soient les responsables de ce massacre, c’est exactement ce qu’ils cherchent: empêcher la fin des hostilités, seule capable de protéger réellement les civils. La véritable réaction politique serait donc, au contraire, de tout faire pour que le sixième round de discussion, qui doit reprendre à Genève, s’avère plus fructueux que jamais.»

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