L’âpre campagne sur l’imposition des entreprises montre que le PS et ses alliés peuvent peser, et gagner. Malgré le populisme et une droite hégémonique à Berne

On la croyait presque morte avec la montée du populisme, mais la gauche helvétique est toujours capable de vaincre. C’est le grand enseignement du sondage gfs/SSR publié mercredi. Il montre que la troisième réforme de l’imposition des entreprises (RIE III), façonnée par la droite et jugée existentielle par le patronat, risque bien d’être rejetée en votation le 12 février.
Economiesuisse et le camp bourgeois croyaient s’en sortir avec une campagne plan-plan, basée sur le plat slogan «Pour une Suisse compétitive, pour nos emplois». Ils ont été submergés par l’agressivité de militants de gauche. Sur les quais de gare, au petit matin, ceux-ci inondent les pendulaires de slogans contre les «cadeaux aux actionnaires». Ou de graphiques éloquents sur la stagnation des revenus de la classe moyenne. Pas trace, en revanche, des partisans de la RIE III. Dans la rue, et peut-être dans les têtes des électeurs, ils ont déjà perdu.
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Bien sûr, le résultat final n’est pas joué. La réforme fiscale contestée peut encore s’imposer in extremis. Par légitimisme fiscal, par fidélité aux autorités et au Conseil fédéral – même si la défection d’Eveline Widmer-Schlumpf a fait très mal sur ce plan-là.
La majorité de droite à Berne n’a plus les coudées franches pour imposer son programme
Mais d’ores et déjà, la gauche a remporté une victoire majeure: celle de peser dans une campagne, de semer la peur dans le camp d’en face, de prouver sa force de mobilisation. Il faut ici rendre hommage à la vision stratégique du patron du PS Christian Levrat, souvent égratigné dans ces colonnes. Il a très tôt su voir dans le référendum contre RIE III un sujet porteur. Parce qu’il permet d’opposer les profits croissants de «ceux d’en haut» aux salaires stagnants de ceux du milieu ou d’en bas.
Cette dichotomie, carburant de la flambée populiste en Occident, avait déjà fait mouche en 2013, lors du vote pour l’initiative Minder. Le patronat et la droite n’ont pas encore trouvé de narratif pour s’y opposer. Ils n’ont plus que quelques jours pour le faire. Ou, au minimum, pour redresser leur campagne s’ils veulent sauver RIE III.
Le second enseignement de cette joute démocratique très animée, c’est que la majorité de droite à Berne n’a plus les coudées franches pour imposer son programme. Elle va devoir négocier, réapprendre l’art du compromis. C’était tout le but du rapport de force – pour utiliser un vocable de gauche – créé par le PS sur RIE III.
Si la réforme fiscale échoue le 12 février – ce que ce journal ne souhaite pas –, la Suisse aura moins de deux ans pour remanier son système d’imposition, en abolissant les statuts privilégiés des entreprises étrangères. Un calendrier serré, voire stressant, qui donnerait à une gauche revigorée l’occasion de peser encore davantage sur l’agenda politique suisse.