Fumio Sasaki ne possède rien. Ou presque. Trois chemises, quatre pantalons, un ordinateur, un stylo. Au total 150 choses, «emballées et déballées en une demi-heure» – Fumio Sasaki a bouclé son dernier déménagement en 90 minutes. Il s’en expliquait récemment à un journaliste du magazine Toyo Keizai: «Il y a deux ans, j’ai commencé à me débarrasser de mes affaires en les donnant à mes amis. J’ai éliminé 95% de mes biens matériels.» Fumio Sasaki se dit épanoui, et l’écrit régulièrement sur son blog, Minimal & ism, dont le slogan proclame en lettres minuscules: less is future.

Fumio Sasaki est le chef de fil des «minimalistes», un mouvement négligeable par sa taille, mais considérable par son écho à l’intérieur comme à l’extérieur du Japon depuis que Reuters lui a consacré une séquence vidéo devenue virale cette semaine. «Nous vivons dans un monde saturé d’images et d’information alors que la capacité de notre cerveau à stocker des data n’a pas changé depuis 50’000 ans», fait valoir Sasaki dans Toyo Keizai au gré d’une métaphore qui superpose sans vergogne l’informatique et la préhistoire. Une seule chaise, une étroite table de bois, voilà le living de Fumio Sasaki. Sa méthode? «Si, face à un objet, j’hésite cinq fois à le juger absolument indispensable, je le jette.» Le prochain appartement sera encore plus petit, se réjouit Fumio Sasaki.

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J’habite moi-même dans un appartement d’à peine 30 mètres carrés. C’est le sacrifice que je fais pour loger en plein coeur de Tokyo tout en vivant de ma plume et de mes idées. Cette constriction matérielle n’est pas sans profit: disparu, l’infini foutoir qui régnait dans mon ancien lieu de vie en Suisse. Comme Fumio Sasaki, je n’ai ni télé, ni DVD, ni CD – tout me parvient en streaming. Pourtant, cette jouissance a ses limites. J’aspire à une grande bibliothèque où faire vivre mes livres, à un véritable dressing où laisser respirer mes vêtements préférés.

Pourquoi donc l’extrémisme de ces minimalistes contemporains résonne-t-il si fort dans la médiasphère? «Je ne pourrai jamais revenir en arrière», confie celui-ci tandis que sa petite fille range ses jouets dans le séjour déserté. «J’étais une accro au shopping», raconte celle-là tout en faisant l’inventaire de sa cuisine – une fourchette, deux cuillères. Tous prônent une étrange libération, une respiration spirituelle, presque une révélation religieuse. Le quasi-rien, sans doute, est une manière comme une autre de remplir l’espace, et de combler la peur du vide.

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