Ce que les robots-conseillers peuvent apprendre de l’industrie automobile
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Les robots-conseillers peuvent contribuer à faire avancer la mutation numérique dans la gestion de fortune et à renforcer la compréhension de l’interaction homme-machine. Le secteur de la gestion de fortune doit renoncer à l’entretien de conseil avec un conseiller physique

En matière de rapport coût-efficacité, la gestion de fortune est en principe un modèle d’affaires non évolutif. Depuis quelque temps, la réponse à ce problème structurel est apportée par des robo-advisors, ou robots-conseillers. Il s’agit en fait de plateformes d’investissement numériques qui proposent des recommandations de placement automatisées – la plupart du temps dans des fonds indiciels passifs – et/ou l’application autonome de décisions d’investissement. Elles peuvent être gérées aussi bien par des établissements de gestion de fortune historiques que par des start-up.
Gain de transparence
Tous les robots-conseillers ont en commun la volonté de permettre la scalabilité de la gestion de fortune, de conquérir de nouveaux segments de clientèle jusqu’alors peu intéressants et d’offrir aux clients une transparence optimale en termes de coûts et de performances.
Le revers de cette transparence est la pression exercée sur les volumes et les marges des gérants de fortune. Ceux-ci font face à un dilemme stratégique entre les canaux de distribution en ligne et hors ligne. La voie hybride est présentée comme la réponse à ce dilemme.
De la même manière que l’industrie automobile a utilisé la propulsion hybride pour répondre aux exigences de la société en matière de respect de l’environnement, tout en essayant de freiner les progrès technologiques de développement de moteurs purement électriques, le secteur de la gestion de fortune cherche à imposer des solutions intermédiaires ou mixtes: en proposant le robot-conseiller comme un canal bon marché parallèlement au conseiller «physique», il tente de maintenir la segmentation entre affaires et groupes de clients à fortes et à faibles marges, de contrôler l’évolution du comportement des clients et, finalement, d’enrayer ou tout au moins retarder la mutation du secteur.
La vague numérique
Mais cette voie hybride ignore foncièrement le fait que les plateformes de robots-conseillers ne constituent pas un modèle d’affaires en soi. Elles sont un phénomène de mode, la manifestation de la mutation numérique vers la communication homme-machine. Les robots-conseillers révèlent la supériorité de la technologie extensible (scalable) et doivent être plutôt vus comme une incitation à désegmenter la gestion de fortune.
C’est là qu’apparaît de façon éclatante la difficulté du secteur à surfer efficacement sur la vague numérique. L’ancien «moteur à combustion» de la gestion de fortune, l’entretien de conseil personnalisé, est conservé car présenté comme un avantage sur la concurrence. En réalité, l’importance de la prestation de conseil par des personnes dans la gestion de fortune semble surestimée. A l’avenir, la confiance dans la technologie va croître de façon exponentielle et de nombreux acteurs du marché seront pris de court par la rapidité de cette mutation.
Des assistants numériques dotés d’intelligence artificielle étendront massivement les fonctions des robots-conseillers qui, de simples conseillers en produits indiciels passifs, évolueront pour devenir des machines dotées d’une compétence active en stratégie d’investissement. Cette disruption conceptuelle permettra à des entreprises technologiques étrangères au secteur de s’implanter dans la gestion de fortune. Des entreprises comme Facebook ont d’ores et déjà acté le fait que la prestation de services reposait sur la technologie.
Un changement structurel
A l’image du constructeur automobile Volvo, qui ne souhaite plus investir dans le développement de moteurs diesel et mise à l’avenir sur le moteur électrique, le secteur de la gestion de fortune doit renoncer à l’entretien de conseil avec un conseiller physique. Dans la gestion de fortune aussi, la «voiture électrique» est l’objectif à atteindre.
Les établissements de gestion de fortune traditionnels ont tout intérêt à participer à cette évolution, que ce soit de leur propre initiative ou via l’association, souvent plus avantageuse, avec des partenaires fournisseurs de technologies et de plateformes qui appartiennent ou non à l’écosystème financier (open banking).
L’avenir appartient à la machine
Certains observateurs du marché voient les robots-conseillers comme une voie critique vers l’avenir de la gestion de fortune. Il est plus probable qu’ils restent un phénomène de mode, en contribuant toutefois à la percée de la technologie sur l’ensemble de la chaîne de création de valeur. Le secteur financier utilise depuis longtemps déjà des logiciels pour accompagner le conseil en placements. Mais le conseiller «humain» était et reste au cœur du processus.
C’est là qu’interviendra le principal changement dans la gestion de fortune: dans le futur, cette place reviendra à la machine. L’informatique cognitive et le Big Data (analyse de données) permettent une interaction apprenante, argumentative, contextuelle et itérative entre l’homme et la machine. L’entretien de conseil personnel avec un gestionnaire de fortune constituera une exception et sera proposé comme une prestation complémentaire payante «à la demande». L’avenir appartient au gestionnaire de fortune numérique.
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