Symbole
A la suite de la victoire de ses troupes sur les hommes de l’Etat islamique, les images de la jeune femme apparaissent sur les réseaux. Plus qu’une guerre remportée, c’est un acte symbolique et féministe aux yeux des internautes

Des décombres gisent au pied d’un mur de chaux obscurci par la fumée et la poussière. Au cœur de l’image, une femme nous lance un regard franc. Elle est jeune. Elle est accroupie. Ses mains ballantes sont soignées. Un foulard à fleurs couvre sa tête, contrastant avec l’ample uniforme militaire dont elle est vêtue. Sous son bras, lui servant d’appui, une mitraillette vient caresser sa joue.
Cette photographie de Rojda Felat, commandante des Forces démocratiques syriennes (FDS), a été prise par le photographe américain Joey Lawrence en mars 2015. Elle refait surface sur la Toile, alors que l’opération «Colère de l’Euphrate», menée par la jeune femme pour libérer la ville de Raqqa en Syrie du joug de l’Etat islamique (EI), a porté ses fruits ce mardi. Sur les images d’actualité, on la voit surtout arborant un sourire rayonnant aux côtés de ses camarades de combat et agitant un long drapeau jaune portant le nom de sa milice.
Une bataille de #Raqqa principalement gagnée par des commandantes femmes : Héval Tulin, Rosalyn, Clara, Rojdat Félat. https://t.co/b50jeuYAOi
— Caroline Fourest (@CarolineFourest) 17 octobre 2017
Une dure à cuire
Sur les réseaux, au-delà du combat remporté, cette image fait aussi figure de symbole naissant aux yeux du public occidental. «Une bataille de Raqqa principalement gagnée par des commandantes femmes», souligne sur Twitter @CarolineFourest avant de citer les combattantes: Héval Tulin, Rosalyn, Clara et Rojda Felat. @Cigdem partage de son côté une discussion qu’il a eue avec un(e) ami(e). «Je suis en train de lire à propos de Rojda Felat. Une dure à cuire» – «Oui, c’est un espoir pour la liberté des femmes et pour l’égalité des genres.» Et de paraphraser Abdullah Öcalan, chef de la guérilla kurde: «Une nation ne sera jamais libre sans la libération des femmes.»
a chat with a friend...#rojdafelat #rojava #SDF #YPG #YPJ #Kurdistan #Syria #Liberation #Reqa #Rakka pic.twitter.com/qWlvxHS10W
— Cigdem (@cheeders_) 17 octobre 2017
Rojda Felat personnifie la libération de Raqqa. Fera-t-on d’elle aussi une icône féministe? Cette jeune femme incarnera-t-elle non seulement une victoire armée mais aussi un poing symboliquement levé en faveur des femmes?
Daech tremble
En novembre 2014, déjà sur France Inter l’émission Les femmes, toute une histoire donnait un élément de réponse: «Comment ne pas se réjouir en voyant les images des femmes kurdes qui, aux côtés des hommes, se battent contre l’Etat islamique? Des femmes dans le même uniforme qu’eux, avec les mêmes armes, tête nue, les cheveux en queue de cheval… On nous dit qu’elles n’ont peur de rien, que leur seule présence fait fuir les combattants de l’Etat islamique. La réalité est sans doute plus complexe. Mais propagande contre propagande, le message de ces femmes kurdes fait davantage rêver.»
radical feminists are winning this war, just sayin. #rojdafelat pic.twitter.com/3PkWXClNmH
— Max Power (@DaGreatMaxPower) 18 octobre 2017
Jamais sans son arme
Sur Twitter, Max Power confirme: «Les féministes radicales gagnent cette guerre.» L’idée est partagée par La Repubblica, qui voit en Rojda Felat le porte-flambeau d’un «féminisme radical dans l’enfer syrien, à l’avant-garde d’une mutation culturelle qui doit conduire à la pleine reconnaissance des droits et des aspirations des femmes issues de tous les groupes ethniques en Syrie». Quant au magazine Elle, qui a brossé son portrait en août, il la présente comme «la femme qui fait trembler Daech».
Ces admirations soulèvent d’autres questions. La publication de son image répond-elle à un stéréotype que le public occidental aimerait opposer aux hommes barbus de l’Etat islamique? Et, dans le contexte de l’affaire Weinstein, à quel point l’image d’une femme victorieuse est-elle une lueur d’espoir que les esprits du monde entier veulent entretenir précieusement?
Lire aussi: Rojda Felat, l’extraordinaire combattante kurde qui a libéré Raqqa
Rojda Felat ne se sépare jamais de son arme. Pas même pour poser devant l’objectif de Joey Lawrence. Sont-ce les tons de l’image et les douces lumières qui caressent son visage qui rappellent certains clichés du commandant Massoud? Ou est-ce ce regard à la fois las et déterminé qui y invite?
Si ce n’est pas un symbole qui est en train de naître, c’est, le cas échéant, sans doute l’effigie potentielle de futurs posters, t-shirts et autocollants que la libération de Raqqa a dévoilée.
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