Peut-être qu’il est temps d’en finir une fois pour toutes avec les clichés: non, le romanche n’est pas un mélange entre l’allemand et l’italien; c’est une langue latine à part entière, et de ces deux langues, c’est l’italien qui s’en rapproche le plus. Non, à raison de tout juste 20%, on ne parle pas que le romanche aux Grisons, aussi réjouissant que cela puisse l’être. Non, Bad Ragaz n’est ni romanchophone ni situé dans les Grisons. Et enfin, le Rumantsch Grischun n’est ni un festival de musique à Davos, qui au demeurant est germanophone, ni une tourte aux noix. Le Rumantsch Grischun, créé en 1982 par le professeur Heinrich Schmid de l’Université de Zurich, est la tentative d’une langue écrite qui réunit les cinq idiomes romanches dont chacun possède déjà sa propre forme écrite. C’était dès lors pour des raisons émotives qu’une partie de la société romanche s’est récemment opposée à cette espèce d’ingénierie linguistique, aussi utile qu’elle soit pour la communication inter-romanche.
En décembre dernier, le bras de fer entre adhérents et opposants à cette langue a finalement cessé lorsque le Grand Conseil grison a décidé de maintenir à la fois les idiomes ainsi que le Rumantsch Grischun comme langues des méthodes d’enseignement. Tandis que nos collègues de la radio DRS et de la presse écrite alémanique ont couvert ce résultat très consensuel et historique, les médias romands se sont surtout distingués par leur absence.
Les absents auraient-ils toujours tort? D’une part, il faut se rendre compte qu’un voyage de Genève à New York en avion dure presque aussi longtemps qu’un voyage en transports publics de Genève à Martina en Engadine. Les Grisons, pour la Suisse romande, c’est donc avant tout un pays lointain à l’autre bout de l’Arc alpin. Et pourquoi la Suisse romande devrait-elle s’intéresser à ces «mornes» Grisons, avec leurs langues incompréhensibles, alors qu’il y aurait par exemple la Polynésie, le Québec ou d’autres pièces de la mosaïque francophone infiniment plus exotiques et sans barrière linguistique?
D’autre part, il serait temps de s’interroger une fois sur les raisons d’être de ce projet suisse. Sans vouloir jouer la relation de la Suisse romande avec le reste de la Francophonie contre sa relation avec les autres régions de ce pays, le désintérêt romand pour ces dernières se fait ressentir assez fréquemment. Combien de Suisses romands ont fait un «Welschlandjahr» (année d’échange en Suisse romande) à l’envers? Combien de Suisses romands seraient capables de citer plus de six cantons alémaniques? En plus de l’anglais, est-ce que l’apprentissage d’une deuxième langue nationale est vraiment une trop grande sollicitation?
L’exemple de la SSR avec ces quatre régions audiovisuelles très différentes sert de modèle d’une coopération interculturelle réussie. Elle ne vise pas l’uniformité en respectant profondément les différences. Cependant, à l’intérieur de cette institution, tout comme dans le reste de la Suisse, ce respect dépasse parfois l’intérêt que l’on pourrait avoir pour l’autre.
Je me permets de terminer par l’appel suivant: Suisses romands de tous les cantons – unissez-vous et mettez-vous à la découverte des autres régions linguistiques de Suisse, y compris de la Suisse romanchophone.