«Il faudra combien de morts pour que les instances du rugby réagissent? Bien entendu toutes mes pensées et prières vont pour lui et sa famille mais qu’attendent-ils pour modifier les règles?» «On a intérêt à prendre de vraies mesures, là c’est plus possible. C’est de l’abattage en règle.» Ces messages diffusés sur le site spécialisé Rugbyrama sont emblématiques du désarroi de la communauté des amateurs de rugby, confrontés cette semaine au décès d’un jeune professionnel de 19 ans, Nicolas Chauvin, joueur du Stade français Paris blessé dimanche lors d’un placage à Bègles (en Gironde, dans le Sud-Ouest). Le traumatisme cervical a occasionné un arrêt cardiaque et une anoxie cérébrale.

Or cet accident intervient quatre mois après la mort accidentelle d’un autre jeune joueur professionnel, Louis Fajfrowski, lui aussi décédé à la suite d’un plaquage. L’émotion est vive dans le rugby français, où la santé des joueurs est devenue un sujet de préoccupation majeur. «Louis et Nicolas doivent être les symboles d’une prise de conscience pour que des mesures soient prises et redonner à ce sport l’engouement et l’honneur qu’il mérite», lit-on encore sur Rugbyrama. «Le peuple veut du sang, et c’est ça le problème numéro 1. Pour ma part, je jette l’éponge, c’est ma dernière saison, je ne peux plus cautionner», se désole sur le site spécialisé Rugbynistère «Darkmamooth», un entraîneur.

Et en Suisse? Si le rugby reste d’implantation récente, le sport est en plein essor, et la Fédération suisse de rugby est passée d’à peu près 3000 joueurs licenciés à 5000 en sept-huit ans. La Confédération est passée du 50e au 30e rang mondial et figure au 15e rang européen. L’intérêt est tel dans le pays que la fédération a inauguré à la fin de novembre une Académie nationale, lundi soir à Nyon-Colovray, une structure d’entraînement qui accueillera dans un premier temps les 30 meilleurs jeunes des catégories M16 à M18.

«Dommage qu’on ne parle de nous que lorsqu’il y a des drames, commente mi-figue, mi-raisin, Sébastien Dupoux, le directeur technique national de Suisse Rugby. Mais il ne faut pas faire d’amalgame. Ces joueurs malheureusement décédés avaient dans la vingtaine, mais c’étaient des professionnels, qui jouaient dans un cadre professionnel, et nous ne pratiquons tout simplement pas le même sport, ça ressemble, mais l’intensité, la vitesse, la force des chocs ne sont pas les mêmes. Il n’y a jamais eu en Suisse de blessé grave, a fortiori de décès recensé.»

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C’est la professionnalisation de la discipline en Europe, autrefois pratiquée par des amateurs, qui a entraîné depuis 1997 un changement du profil des joueurs: ils sont aujourd’hui plus grands, plus lourds, plus rapides, et surtout plus entraînés. La puissance des chocs peut atteindre celle d’une collision entre véhicules à moteur. Il y a peu, la boxeuse suisse Anaïs Kistler reconvertie au ballon ovale confessait à nos confrères de la Tribune de Genève qu’elle récoltait davantage de bleus au rugby que dans sa première spécialité…

Mais Sébastien Dupoux insiste: «La Suisse n’est pas concernée, ici nos meilleurs joueurs s’entraînent deux ou trois fois par semaine. La force des impacts est un problème de rugby professionnel, on arrive aux limites du corps humain. Je suis très triste, c’est en train de pourrir tout le rugby.»

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Les jeunes joueurs profitent de règles plus protectrices, adaptées pour eux par la Fédération internationale – par exemple, ils n’ont pas le droit de saisir un joueur plus haut que la ceinture. Pas question donc de «faire exploser» le ballon à deux – un qui s’occupe de faire tomber l’adversaire et l’autre de lui faire abandonner le ballon. Faudrait-il adopter cette règle au-delà des juniors? C’est toute la philosophie du jeu qui changerait ainsi, toute sa pratique. Un débat dont le monde du rugby peut de moins en moins faire l’économie.

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