Le 23 mai dernier, le Rwanda et l’Arsenal Football Club signait un contrat de partenariat. Impressionnant, pour un pays qui a perdu 800 000 personnes dans le génocide des Tutsis par les Hutus. Que cache cette réalité? Feuille de match.

La mémoire: la passe décisive

En 1994, le Front patriotique rwandais (FPR), mené par Paul Kagame, met fin au génocide et prend le pouvoir. Il décide de supprimer toute référence aux ethnies dans les documents officiels. Dorénavant, on n’est plus «Hutu» ou «Tutsi», mais «Rwandais». Cependant, comment réconcilier les communautés sans nommer la source des différends? La transition identitaire se veut «post-ethnique», et le Parti promeut l’éducation civique. En 2008, le gouvernement uniformise à cet effet les plans d’études, restreignant l’enseignement des responsabilités liées au conflit. Au-delà de l’éducation, le régime prévoit également des cérémonies commémoratives et des procès communautaires. Chaque année, pendant cent jours à partir d’avril, le pays est en deuil national. Cette commémoration forcée souligne la stratégie du FPR d’imposer sa version des faits. Enfin, grâce aux Gacaca Community Courts (2002-2012), justice est rendue aux victimes par la condamnation de près de 400 000 individus.

Les tactiques d’un businessman

Le FPR s’est également emparé de l’économie et la dirige telle une corporation. Le groupe Crystal Ventures en est le bras économique. Ce réseau d’entreprises possède d’importants biens immobiliers, des contrats avec des fournisseurs de biens, et investit dans les infrastructures et la sécurité, tout en finançant les élections présidentielles. Ses avoirs s’élèvent à 500 millions de dollars américains (2017). Le régime autoritaire a donc les moyens d’assurer sa domination, en employant ses propres citoyens. Cette stabilité économique est unique dans la région, et attire des investissements étrangers. Le deal avec Arsenal F.C. n’est donc pas anodin. Chaque maillot abordera désormais «Visit Rwanda» sur la manche gauche. Selon le club, les maillots sont vus en moyenne 35 millions de fois par jour. Pour Kagame, c’est un moyen de promotion inégalable. Ce technocrate, qui a fait du Rwanda son entreprise, construit donc un véritable empire. Dans son pays, il a imposé une manière de vivre: nettoyage des rues et interdiction des sacs plastiques. On note une baisse du taux de pauvreté et une amélioration de la qualité de vie. Or peut-on s’y fier?

Le deal avec Arsenal F.C. n’est pas anodin. Selon le club, les maillots sont vus en moyenne 35 millions de fois par jour

Les adversaires sur le banc de touche

La répression se ressent tant au niveau privé que dans la vie politique. En effet, malgré les procès Gacaca la population n’exclut pas l’avènement d’un nouveau conflit ethnique. Le gouvernement propose des «villages de réconciliation», subventionnant la cohabitation entre anciens génocidaires et victimes. Or subvention implique surveillance. La liberté d’expression est restreinte. Le Parti surveille les rues, et il n’hésite pas à intervenir. Toute critique du gouvernement est sanctionnée de divisionniste ou d’incitation au génocide. Ainsi, malgré le rebond économique, le progrès démocratique est lent. Toute alternative politique au FPR est fortement réprimée, voire matée. Les opposants sont forcés à l’exil, harcelés ou assassinés. Paul Kagamé préfère donc jouer les prolongations.

Le temps additionnel

Selon la Constitution, un candidat peut briguer deux mandats présidentiels (sept ans). En 2015, le peuple accepte un référendum populaire visant la levée de cette limite. Ainsi, en août 2017, Kagamé est réélu, une troisième fois, avec 99% des voix. Un pourcentage digne des plus fins dictateurs. De surcroît, du fait que le référendum de 2015 est un amendement constitutionnel, celui-ci n’entrera en vigueur qu’en 2024, et Kagame pourrait donc potentiellement briguer deux mandats supplémentaires et présider jusqu’en 2034. Impérial sur son terrain, il continuera à serrer les mains des Occidentaux, car ses supporteurs ne sont pas près de quitter les tribunes.

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