Doux minois au nez retroussé, chevelure et pyjama roses, Avery Jackson, 9 ans, prend nonchalamment la pose. Petite fille née dans un corps de garçon, elle incarne la «révolution du genre». Le «National Geographic» l’a choisie pour illustrer son numéro de janvier prochain qui sortira officiellement le 27 décembre. Une première dans l’histoire du célèbre magazine américain, plus connu pour ses photos magistrales de faune et flore que pour les débats de société. Photographiée par Robin Hammond, l’enfant transgenre porte en elle un espoir de reconnaissance pour la communauté LGBT. Progrès ou hérésie, le geste divise les internautes.

«Je ne suis pas un monstre»

«Ce qu’il y a de bien avec le fait d’être devenue une fille, c’est que je ne suis plus obligée de faire semblant d’être un garçon.» Cette citation d’Avery Jackson, en une de l’édition consacrée à la diversité de multiples points de vue, sonne comme une évidence. Son jeune âge et sa spontanéité donnent à sa transformation un caractère naturel. Sa consécration le confirme: être transgenre est un phénomène ordinaire qui doit être accepté comme tel. «Je me sens si heureuse et fière d’être transgenre. […] Je ne suis pas un monstre. Je ne fais pas peur. Je veux simplement être traitée comme n’importe quel autre être humain», confie la fillette au «Paper Magazine». C’est précisément ce qui fait débat. 

«L’actualité des célébrités est très couverte, mais on ne s’est jamais vraiment intéressé au quotidien de vraies personnes qui font face tous les jours à la transphobie, dans des salles de classe ou sur leur lieu de travail», explique la rédactrice en chef à NBC News. Pour illustrer l’étendue du spectre de la transidentité, un groupe de jeunes s’affiche en quatrième de couverture. Transgenres, intersexes, androgynes, dreadlocks, peau métisse et yeux bridés cohabitent pour dire la différence. Au-delà du papier, un documentaire intitulé «Gender Revolution: A Journey with Katie Couric» aborde la question du genre sans tabous. Courageuse pour les uns, opportuniste pour les autres, la démarche interpelle. 

Contrer le marketing genré

Sur la page Facebook du «National Geographic», la photo réjouit les détracteurs d’une société normative et d’un marketing genré. «Les frontières de ce qui définit un garçon ou une fille sont lentement en train de disparaître, commente un internaute. Qu’un garçon joue avec des poupées ou qu’une fille refuse de porter une robe rose n’est plus considéré comme étrange.» «Le genre n’a rien à voir avec la configuration génitale, c’est une question de perception sociale», appuie un autre. Pour contrer cette interprétation, certains convoquent l’argument scientifique: «Vous êtes soit XX soit XY. D’un point de vue génétique, c’est très simple.»

Le débat entre partisans de l’émancipation des transgenres et conservateurs fait également rage sur Twitter. «Je suis désolé pour les jeunes enfants de cette génération contraints de grandir dans la confusion pour que leurs parents puissent se sentir spéciaux et progressistes», condamne @dscott85. «Cette génération? L’homosexualité existe depuis toujours, rétorque maladroitement @Iam_Letosexual. Renseigne-toi!»

Tolérance et peur

Au fil des commentaires, on relève un «manque criant de tolérance», une «haine» mêlée de «peur» ou au contraire une «apologie des troubles mentaux». «Nous ne sommes pas tous faits de la même manière, pourquoi est-ce si dur à comprendre?» s’indigne une internaute. Certains tentent malgré tout d’ironiser: «Le bébé est né, est-ce une fille ou un garçon? Aucune idée, laissons-le décider dans quelques années.»

Il y a seulement vingt ans, une telle une n’aurait pas été envisageable. Un pas a indéniablement été franchi par le «National Geographic», même s’il ne fait pas l’unanimité.

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