Un «clash spectaculaire». C’est ainsi que 24 Heures et la Tribune de Genève qualifient le débat tenu entre le conseiller d’Etat vaudois Pierre-Yves Maillard et le président de l’Association des médecins genevois, Michel Matter, en ouverture de la conférence nationale Santé2020, ce lundi à Berne. Aux côtés du président de la Confédération, Alain Berset, tous deux se sont écharpés sur les coûts de la santé. Comme l’a affirmé le conseiller fédéral en introduction, les coûts de la santé ont encore fortement augmenté et rien ne semble prédire la fin de cette évolution. Pourquoi? C’est justement là que la discussion s’embrase.

Un million de francs par an

Elle a en fait commencé dimanche soir. Invité sur les ondes de la RTS, le chirurgien genevois Philippe Morel accuse. Que fait Mauro Poggia, le chef du Département genevois de la santé? «Les primes continuent à augmenter et aucune mesure concrète n’a été prise pour pouvoir les enrayer», dénonce-t-il. Douze heures plus tard, sur les mêmes ondes, le principal intéressé répond au chirurgien tout en lançant un nouveau pavé dans la mare lorsqu’il mentionne la grève des chirurgiens de la main à Genève.

«Je ne pense pas que les médecins soient à plaindre», glisse le conseiller d’Etat avant d’inviter les auditeurs à se pencher sur le chiffre d’affaires des médecins tout en regrettant leur manque de transparence. Il ajoute connaître d’ailleurs, de source sûre, le montant des revenus de certains chirurgiens: pas loin du million de francs par an.

La déclaration fait mouche. D’autant plus qu’elle intervient précisément le jour de la conférence nationale Santé2020, dont l’objectif était de trouver des pistes afin de réduire les coûts de la santé. Alors qu’il invitait cordialement sur Twitter tous les acteurs de la santé à réfléchir ensemble à de potentielles solutions, Alain Berset élève le ton au micro de la RTS. Le président de la Confédération est révolté: «Un million de francs de salaire par année, ça veut dire de 80 000 à 90 000 francs de salaire par mois! Qui peut justifier un salaire pareil sur le dos des primes?»

Un amalgame pointé du doigt

Loin de lui l’envie de jeter la pierre à l’ensemble du corps médical, mais la salve contre certains spécialistes est lancée. Aussitôt, ils réagissent. C’est cette fois Jean-Marc Heinicke, président de l’Ordre des chirurgiens, genevois qui prend la parole: «Le chiffre avancé est fantaisiste, rétorque-t-il. Il convient de faire la différence entre un chiffre d’affaires et des honoraires.» Le médecin crie au scandale et dénonce «un amalgame sciemment utilisé par les politiciens pour faire peur». Il parle de celui entre assurance privée et assurance de base dont découle TarMed. «Tous les spécialistes qui opèrent les patients dans les cliniques privées ne participent pas à la hausse des coûts. En facturant aux tarifs TarMed, on ne peut pas arriver à de tels honoraires. Ce n’est pas possible.»

Triche possible

Vraiment? Contacté par téléphone, un membre du corps médical volontairement anonyme admet: le montant du salaire avancé par Mauro Poggia ne l’étonne guère. Il tient toutefois à ne pas généraliser, car chaque médecin incarne une structure de revenus différente. «En outre, beaucoup de gestes sont devenus très rapides et certaines spécialités sont injustement privilégiées par rapport à d’autres. La révision de TarMed devrait permettre d’atténuer ces inégalités.» Reste que «dans le privé, tout est permis, alors que sous le régime TarMed, les honoraires sont fixés», explique-t-il.

Le système tarifaire permet-il, malgré les restrictions imposées, l’exercice de certaines manipulations frauduleuses? C’est un autre connaisseur de TarMed qui répond: «Bien entendu! L’ajout, par exemple, de gestes qui n’ont pas été exécutés permet d’augmenter la facture.»

Lundi, en plein débat, Pierre-Yves Maillard avançait une solution à ses yeux «simple et efficace»: définir un plafond financier pour freiner les coûts de la santé sur la base d’un budget global. L’idée semble faire sourire le médecin contacté au téléphone. Car selon lui, «un contrôle accru des pratiques du corps médical» ne permettrait pas, en soi, de faire progresser le débat sur les coûts exponentiels de la santé.

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