Mon voisin travaille à plein temps dans une entreprise britannique. Il y occupe un poste de cadre. Pourtant, il ne se déplace pas très souvent à Londres et sa voiture reste presque toujours parquée devant son domicile. Il fait ce qu’on appelle du télétravail. A défaut de prendre des cafés avec ses collègues ou de passer du temps dans les transports publics, il joue de la clarinette.

Cela fait longtemps que le phénomène de télétravail existe mais il s’amplifie avec l’extension des réseaux à haut débit et la généralisation du cloud. Les salariés peuvent discuter sur des forums internes ou par mails et les réunions se font en visioconférence.

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Le monde du travail est en pleine mutation. Plus d’un quart de la population suisse (28%) travaille régulièrement depuis son domicile, selon une étude de Deloitte publiée en 2016. Les chiffres concernant 2018 ne sont pas encore disponibles mais tout laisse à penser que le phénomène s’accélère. Même l’Etat de Vaud s’y est mis. Le Service du développement territorial (SDT) a entièrement réorganisé son fonctionnement afin de proposer à ses 78 employés la possibilité de travailler jusqu’à 50% à distance. En place depuis août 2018, cette proposition a déjà été adoptée par les trois quarts des employés, qui continuent de timbrer via leur ordinateur portable.

A Genève, les SIG, un précurseur en la matière, proposent depuis 2012 de travailler à distance et d’assouplir ses horaires. La mesure a été plébiscitée par 650 collaborateurs sur les 1700 que compte le groupe qui se félicite d’une telle initiative, puisqu’elle a permis d’augmenter la productivité de 10 à 15%, a-t-on appris la semaine passée dans la Tribune de Genève.

Impact environnemental

En plus de faire gagner du temps, le télétravail et la flexibilité des horaires permettent de réduire la mobilité. Ce qui pourrait avoir un impact sur l’environnement. En restant chez soi au lieu de conduire pour aller au bureau, un travailleur ne brûle pas d’essence, et n’émet donc pas de CO2. Certains salariés ressentent un sentiment d’isolement et des journées à rallonge qui empiètent sur leur vie privée. Des employeurs évoquent une difficulté à piloter des troupes éparpillées ou un risque de perte d’émulation et d’esprit d’équipe. Mais le télétravail reste majoritairement apprécié.

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Cette tendance mondiale ne concerne pas uniquement quelques start-up éparpillées. Le site remotive.io, spécialiste de l’emploi à distance dans la tech, a recensé 900 start-up prêtes à recruter des télétravailleurs en 2019. En 2016 la liste ne contenait alors que 200 employeurs. Le profil des entreprises se diversifie. On retrouve aussi bien des start-up de moins de dix personnes que des licornes valorisées à plus d’un milliard de dollars comme Automattic (créateur de WordPress), Gitlab ou Invision, qui ont opté pour un modèle «sans bureaux».

«Open space» à moitié vide

Des entreprises sans bureaux? Les locaux d’Automattic à San Francisco étaient présentés comme un espace de coworking pour ses 550 salariés. Jusqu’au jour où, en 2017, maintenir cet espace quasi désert était devenu un non-sens et l’occasion d’économiser des frais fixes liés à un bail commercial.

La stratégie d’Automattic symbolise une tendance de fond aux Etats-Unis. De nombreuses entreprises, comme Mozilla, Twilio et GitHub, permettent à leurs salariés de travailler de chez eux à temps plein. Certains estiment qu’il n’est plus nécessaire d’être physiquement dans des hubs technologiques comme la Silicon Valley. Les loyers y sont exorbitants tout comme les salaires des ingénieurs. Les entreprises préfèrent alors recruter à l’international afin de puiser dans un vivier de talents mondial sans subir la pression des coûts.

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Le modèle «sans bureaux» est surtout applicable à des entreprises actives dans la tech ou dans les services. Il est plus difficilement transposable à des sociétés qui produisent des biens. Par contre, même ces entreprises devront songer à redimensionner leurs espaces de travail. Les bureaux rutilants ne semblent plus attirer les meilleurs talents. Et chauffer des open spaces à moitié vides ne répond à aucune logique durable.

On parle beaucoup des villes dont les magasins ferment suite aux changements de comportement des consommateurs. On évoque moins les espaces de travail. Pourtant, eux aussi s’adapteront aux nouvelles habitudes. Ils devront être réajustés. Les entreprises propriétaires de leurs immeubles pourront louer leurs locaux et pourquoi pas les transformer en appartements. Peut-être même en appartements d’entreprise où les salariés travailleront dans leur salon. Et pourront parfaire leur pratique de la clarinette.

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