C’est pour ces raisons-là qu’il faut sauver Bernard. Dit autrement, il faut empêcher Rappaz de tuer Bernard, l’homme, l’agriculteur, le père.
J’en appelle à la raison des hommes et aux femmes de raison, car tous nous savons ne pas pouvoir compter sur Rappaz. Lui n’a jamais été très raisonnable et ne le sera sans doute jamais. De plus, il est entré dans une logique perverse qui le broie et le conduira peut-être à la mort si on le laisse faire. Il a déjà perdu son honneur, son commerce, son fils, sa ferme. C’est un homme sans illusions. Plus grand monde ne le supporte. La plupart de ses compagnons de route se sont débinés. Il lui reste des créanciers, des médisants et une petite poignée d’hommes et de femmes, amis fidèles. Sinon Rappaz est seul. Qui ne serait pas tenté à sa place par une sortie en fanfare?
C’est pour ces raisons qu’il faut sauver Bernard.
L’enfant gâté Rappaz tient en joue Bernard. Le délinquant acculé affame l’homme, le militant, l’agriculteur, le rêveur pacifiste. Il menace de mort un fils, un père, un voisin. Ceci est intolérable. Il faut sauver Bernard. Bougez-vous! Il est encore temps. On réglera plus tard les détails de ce qui est juste et faux, le temps n’est pas au calcul d’apothicaire ni aux arguties théologiques. Il y a urgence. Il faut retenir la main du meurtrier et empêcher les croque-morts de se réjouir. Il faut négocier, gagner du temps. L’Etat doit aussi se reconnaître quelque tort. Qui d’ailleurs croit nos magistrats vierges d’erreurs? Le droit et la justice ne sont rien d’autre que l’état provisoire d’un rapport de force. Un perpétuel chantage à la peine.
Les problèmes politiques doivent être réglés par les politiques. Laissons les médecins à leur labeur. La médecine n’a pas pour mission de soigner les institutions malades, ni de mettre du baume au cœur du juge ou de sauver la face aux fonctionnaires de police. Les médecins n’ont pas pour mission non plus de priver le militant affaibli de son seul moyen d’expression. Si Rappaz écrivait, leur demanderait-on de lui ligoter la main? Et s’il criait, devraient-ils le bâillonner ou lui couper les cordes vocales?
Par contre, que ceux qui peuvent agir, agissent.
Christophe Darbellay, tu es démocrate-chrétien, tu as appris au cours de catéchisme que le chrétien ne se tient pas sur les clochers des églises pour indiquer le sens du vent, non, il prend des risques, il baise les pieds de la femme adultère, il assied le mauvais larron à la droite du père. Le chrétien ne se réjouit pas de la mort du salaud, il le libère de ses chaînes, l’embrasse chaleureusement et lui dit, viens manger chez moi, tandis que les pharisiens hurlent au viol des institutions. Le chrétien est fraternel, le démocrate aussi. Fais donc pression sur les trois conseillers d’Etat de ton parti pour qu’ils trouvent une solution élégante, sans gagnant ni perdant. Appelle Maurice Tornay, conseiller d’Etat qui est un sage rempli de bon sens. Oublie les rancœurs et les calculs.
Ueli Leuenberger, agis donc un peu pour que les écologistes se mobilisent. La vie d’un homme ne mérite-t-elle pas autant d’attention que celle d’un gypaète? Fais tout ce que tu sais pour sauver le gauchiste Bernard, une espèce en voie de disparition, en Valais aussi. Bernard, militant antimilitariste, s’est battu contre le fluor, contre les autoroutes, contre le projet Hydro-Rhône, il s’est battu pour une agriculture bio et locale. Il faut le sauver, lui et son biotope. Il faut empêcher que la ferme de l’Oasis à Saxon ne soit vendue aux enchères pour remplir les caisses de l’Etat du Valais qui débordent. Fais pression sur les écologistes pour qu’ils nous libèrent en douceur de la logique perverse à laquelle nous condamne Rappaz.
Jean-René Germanier, tu vas gravir les marches qui conduisent au perchoir. Tu es un brillant défenseur des intérêts agricoles. Tu cultives les fruits de la terre et connais le travail des hommes. Tu crées également des produits qui apportent la joie et consolent de la vie. Tu as inondé les bals et les cantines d’un cocktail qui mêlait jus et alcool de poire. Tu as fait découvrir l’ivresse à des milliers de jeunes filles et de jeunes garçons, sauve Bernard, ton collègue paysan, ton concurrent. Il y a de la place pour vous deux. Il y a de la place pour toutes les ivresses et toutes les expériences. Ton parti soutenait la libération du cannabis, aujourd’hui, il s’agit de libérer Bernard du piège dans lequel l’a enfermé Rappaz.
Stéphane Rossini, bouge-toi. La vie de Bernard est plus importante qu’un quatrième mandat au Conseil national. Je t’ai entendu défendre avec éclat les moutons de l’appétit du loup. Puis cet automne, tu as couru les montagnes pour abattre quelques chèvres sauvages. Descends un peu dans la plaine et libère Bernard des griffes de Rappaz. Fais nous voir ton courage de montagnard. Toi qui es intelligent, invente-nous une sortie de crise, car nous n’aimons ni les enterrements ni les rapports de force.
La vie d’un homme est entre vos mains. Vous avez de la hauteur, vous êtes au-dessus de la mêlée. Les quatre réunis, vous avez beaucoup de pouvoir, alors qu’il suffit juste d’un peu de créativité pour casser le jeu pervers qui s’est installé. Mettez-vous autour d’une table, trouvez une solution élégante et inédite. Faites la fierté du canton par votre audace. Empêchez Rappaz d’affamer Bernard, car s’il meurt c’est un certain Valais qui aura tué un Valais certain. Ce jour-là, nous serons tous à la fois meurtriers et meurtris. Nous serons les victimes et les complices, ne laissez donc pas Rappaz continuer cette danse macabre, éteignez la musique, fermez les projecteurs et mettez-vous discrètement au travail.
D’avance, je vous en remercie.
Un seul être manque et le monde est dépeuplé, a écrit le poète.