EDITORIAL. L’affreuse cacophonie des mesures de réouverture des restaurants romands met à mal le fédéralisme. Le dévoyer ainsi depuis des mois par des mesures dont la nuance dit avant tout l’hubris des gouvernements cantonaux est un scandale

La réouverture, même sous condition, des restaurants et des bars en Suisse romande, à quelques jours de Noël, devrait être une bonne nouvelle. Mais l’affreuse cacophonie dans laquelle elle va se dérouler à partir de jeudi pose au contraire une question cruelle: les gouvernements romands sont-ils en train de détruire un monument de près de deux siècles d’âge, qui s’appelle le fédéralisme?
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Car il faut mettre le juste mot de bazar sur ce qui nous est annoncé. Après des mois de crise, les gouvernements cantonaux de l’ouest du pays, qui avaient geint si fort pour retrouver leur mot à dire lorsque le Conseil fédéral avait pris seul la main, sont en train de se ridiculiser.
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Il ne suffit pas d’annoncer tous le même jour des mesures toutes différentes pour faire croire au quidam que l’on s’est mis d’accord. Le secteur des cafetiers-restaurateurs est en perdition. Cela alors que c’est l’un de ceux qui a fait, depuis l’irruption du virus, le plus d’efforts pour se mettre en conformité avec les injonctions sanitaires et administratives. Des dizaines de milliers d’emplois sont au bord d’être perdus. Une grande partie des professionnels n’ont jamais trouvé d’accord avec leur bailleur. Beaucoup attendent encore une aide de leur canton, qui ne servira qu’à boucher un trou, alors qu’un autre se creuse, et la réouverture de cette semaine va se faire en un puzzle grotesque de différences cantonales. Une pandémie mondiale, sur un aussi minuscule territoire que la Suisse romande, devrait faire saisir aux conseillers d’Etat, en leurs prés carrés, que tenter sans arrêt de faire croire qu’il est de bonne politique de nuancer cette dernière tous les 10 kilomètres aggrave le problème au lieu de contribuer à sa résolution.
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Suivant les cantons et chefs de service, il va donc falloir démêler les incohérences entre les horaires, entre les restaurants et les bars, les bars et les caveaux, les assiettes froides et les mets cuisinés, les coussins chauffants rechargeables et l’âge du capitaine. C’est du n’importe quoi.
Le fédéralisme, c’est la force du respect des différences et des minorités. Le dévoyer depuis des mois par des mesures dont la nuance dit avant tout l’hubris des gouvernements cantonaux est un scandale. Il conviendrait que les ministres romands écoutent mieux les bons conseils qu’ils donnent à leur population, et qu’ils fassent preuve de responsabilité collective. Autrement dit, qu’ils se mettent enfin à table, si l’on ose ironiser, à distance suffisante pour parvenir à ce que l’on attend d’eux: s’entendre.
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Il y a 2 mois
Bien vu et bien exprimé, Madame: bravo !
Il y a 2 mois
Sur le principe je suis d'accord. En revanche, je pense que le terme d'"hubris" s'accorde plus justement avec "pandémie mondiale" (ou l'image qu'on nous en fait) qu'avec "gouvernements cantonaux".
Il y a 2 mois
Ces décisions cantonales : du Grand N'importe quoi ! Au début, ils râlent contre le Conseil Fédéral et veulent récupérer leur autorité et maintenant ils sont complètement incapables de s'entendre pour prendre des décisions sensées, mais fiers d'annoncer qu'ils ont réussis à se mettre d'accord sur...la date !!! Quel exploit ! Et comment réagiront-ils quand nous serons tous devant la 3ème vague au début 2021 pour commencer l'année en fanfare ! Qu'est devenue la belle solidarité du début de la pandémie ???
Il y a 2 mois
Je pense qu'il est facile de critiquer l'action des gouvernements mais qu'auriez-vous fait à la place de ceux-ci ? Ouverture des bars ou non ? Application des réglés fédérales minimales ou non ? Choix sacrifiant ou non ? En lien avec la capacité hospitalière de votre canton, car finalement c'est la question centrale.
Le fédéralisme c'est justement de permettre à chaque canton de déterminer la solution qui lui est la plus adaptée. C'est ce qui est fait, au détriment de légères incohérences certes, mais que l'on retrouve également dans l'application de lois "de tous les jours" en dehors de la sphère de la pandémie.
Non, ce qui "prétérite" le fédéralisme, ce sont bien les errements du Conseil fédéral et du parlement fédéral qui préfèrent attendre de voir, notamment dans le domaine financier....
Il y a 2 mois
L'ennemi du fédéralisme c'est le conseil fédéral lui même qui n'a pas su convaincre la population du bien fondé de ces décisions, en mettant en avant d'obscures fonctionnaires de l'OFSP qui nous ont mentis sur les masques, qui ne communiquent pas correctement. La cacophonie des cantons c'est la conséquence de cette gestion douteuse.
Il y a 2 mois
Bravo pour votre article. Vous mettez le doigt sur un problème qui est la conséquence de notre structure politique. Et je me risque à poser quelques questions qui manifestement, comme elle dérange, sont soigneusement occultées:
- La division du pays en cantons fait-elle encore du sens ?
- Faudrait-il la remplacer par des régions calquées sur la vraie distribution des activités et de l’habitat ?
- Les gouvernements de milice sont-ils à la hauteur des tâches qui leur sont confiées ?
- Comme dans le cas de l’armée, la santé ne devrait-elle pas dépendre du gouvernement fédéral ?
- -Doit on se préoccuper de l’effet de centrifugation qui voit les zones frontières adopter toujours plus les approches de leurs voisins immédiats ?
Il y a 2 mois
On ne peut pas toujours avoir le beurre et l'argent du beurre, être en tout centralisé et décentralisé à la fois. Quelque soit le cercle de décision que vous dessinez, il y aura toujours une frontière entre le dedans et le dehors. Une approche cantonale peut faire sens, mais demande aussi une coordination efficace. Ceci dit, on se rend bien compte que la pesée d'intérêts effectuée par différentes instances n'est pas toujours une sinécure. Elle peut naturellement engendrer quelques incohérences et ne remplacera jamais la responsabilité individuelle et la solidarité.
Je suis pour ma part plus inquiet et peu compréhensif de voir que les cantons n'ont pas toujours réussi à mettre en place efficacement, entre les deux vagues, le principe "tester, tracer, isoler". N'ai-je pas entendu un médecin cantonal affirmer cet été qu'une cinquantaine de postes avaient été ouverts, mais que les candidats ne se poussaient pas au portillon ! Diable, on est capable de réquisitionner temporairement l'armée et la protection civile, mais pas quelques dizaines de fonctionnaires parmi les nombreux serviteurs de l'Etat, sans passer par une procédure de recrutement en bonne et due forme ?