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Les secondos en Suisse surpassent leurs parents en termes d’éducation

OPINION. Dans une étude sur l’ascension scolaire des immigrants en Suisse, le démographe Philippe Wanner, de l’Université de Genève, montre comment les enfants dépassent leurs parents… comme pour les enfants de familles suisses. Mais la situation diffère beaucoup selon le pays d’origine

Image d'illustration. Une école à Herisau, le 13 mai 2022.
 — © GIAN EHRENZELLER / keystone-sda.ch
Image d'illustration. Une école à Herisau, le 13 mai 2022. — © GIAN EHRENZELLER / keystone-sda.ch

L’immigration étrangère en Suisse a été marquée, dès les années 1970, par une durée de séjour allongée qui remplaçait la politique de rotation de la main-d’œuvre de l’après-guerre. Ce nouveau régime donnait naissance à une génération d’enfants de migrants, les secondos. Issus de familles faiblement qualifiées, ces jeunes ont dû faire face à différentes barrières – linguistiques, culturelles ou discriminatoires –, et mobiliser un effort important pour accéder à un statut plus élevé que celui de la génération des parents. Mais cet investissement scolaire a été encouragé par le fait qu’il représente pour les enfants de familles ouvrières un moyen de sortir d’une situation défavorable.

Aujourd’hui, dans le contexte d’une diversification des flux migratoires, la capacité d’obtenir une formation supérieure à celle des parents d’une part fait référence à l’intégration structurelle, c’est-à-dire l’aptitude de s’adapter au système de formation suisse. D’autre part, elle soulève la question de l’égalité des chances et donc de la possibilité offerte par la société d’accueil, quelle que soit l’origine sociale ou nationale de l’enfant, de réussir une formation post-obligatoire. A ce propos, des données nouvellement disponibles permettent de comparer le niveau de formation des secondos vivant en Suisse et âgés de 25 à 44 ans avec celui des parents, et de documenter la mobilité intergénérationnelle d’un point de vue de la formation achevée.*

Ces données indiquent que dans les familles migrantes faiblement qualifiées (donc sans formation post-obligatoire), la mobilité ascendante concerne près de 90% des secondos: 32% d’entre eux atteignent le niveau tertiaire, et 57% le niveau secondaire II. Cette mobilité ascendante est semblable à celle mesurée chez les enfants natifs de la Suisse. Pour les secondos dont le parent a achevé un niveau secondaire II, près de la moitié (46%) présentent une mobilité ascendante (niveau tertiaire), une proportion identique à celle observée chez les natifs. Enfin, parmi les parents primo-migrants de niveau tertiaire, 68% des enfants atteignent le même niveau, une proportion plus élevée que chez les natifs (63%). Dans ce groupe, la mobilité descendante est une situation minoritaire et concerne essentiellement un passage au secondaire II.

D’une manière générale, la mobilité intergénérationnelle des enfants de migrants est semblable à celle des enfants de natifs. En allant plus dans les détails, on peut observer qu’elle est élevée pour les Espagnols et les Français, comparativement aux autres groupes d’étrangers. Elle est plus faible pour les ressortissants de Macédoine et du Kosovo, les deux groupes observant la plus forte immobilité.

Ces résultats apportent une information utile pour les politiques d’intégration, notamment en milieu scolaire. Les variations observées en fonction de l’origine peuvent être liées à différents facteurs. D’une part, l’ancienneté du flux migratoire: arrivées plus récemment en Suisse, les familles originaires des Balkans se caractérisent ainsi par des difficultés accrues pendant la scolarisation de leur enfant, comparativement à d’autres nationalités. Ces difficultés peuvent être liées à de plus faibles capacités d’aider l’enfant engagé dans une scolarité différente de celle du pays d’origine, mais aussi à des aspects en lien avec des pratiques discriminatoires et au coût pour la famille d’une formation qui se prolonge.

Afin d’éviter l’émergence de minorités défavorisées, qui resteraient cantonnées dans des activités faiblement qualifiées, il est important de vérifier que le système scolaire offre à chacune et chacun, quelle que soit l’origine, les mêmes chances de réussite. Les résultats obtenus suggèrent que des adaptations allant dans ce sens sont toujours nécessaires.


* Voir P. Wanner, «La mobilité éducative des secondos en Suisse». Social Change in Switzerland, No 30, juillet 2022, www.socialchangeswitzerland.ch