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La semaine de Beat Kappeler. Conversation avec un Allemand sur les inégalités et leurs réparations

J'ai tenu un discours de Premier Août sans le vouloir, sans préparation

J'ai tenu un discours de Premier Août sans le vouloir, sans préparation et pratiquement sans public. C'était au téléphone, en répondant aux questions d'un journaliste allemand. Il me posait des questions anodines, mais comme il insistait, j'étais amené à développer peu à peu les traits profonds de notre pays. Pourquoi le financement de la santé en Suisse semble-t-il moins compromis qu'en Allemagne? Pourquoi l'assainissement du système des rentes est-il perçu comme nécessaire et faisable?

Les réponses s'énoncent d'abord d'une manière purement technique – les Suisses sont assurés tous obligatoirement et ils paient leurs primes individuelles aux caisses maladie. Oui, répond l'Allemand, chez nous les indépendants et les fonctionnaires ne contribuent pas et s'assurent en privé, mais si l'on introduisait les primes suisses qui sont obligatoires et égales pour les riches comme pour les pauvres, on aurait la révolution. Et voilà que ces objections obligent à creuser l'analyse. Les Allemands appliquent une égalité que j'appellerais «sociale-démocrate» selon laquelle les coûts individuels de la santé ne comptent pas, mais tout le monde doit y contribuer selon son revenu. Les Suisses ont une autre idée, plus différenciée de la péréquation sociale. D'une part, comme personne ne sera refusé aux portes d‘un hôpital, alors tout le monde doit s'assurer. En Allemagne on ne refuse pas de monde non plus, mais les Suisses n'acceptent pas que les cigales ne paient jamais et peuvent compter sur des soins sans limites, le cas échéant. D'où ce trait plutôt collectiviste de l'assurance obligatoire.

Le même principe incorpore tout le monde dans l'AVS comme système unique. Ensuite, les primes par tête des caisses maladie, les franchises imposées à tout le monde et les retenues individuelles dans les primes font fi des inégalités de revenu. Mais quelle horreur, répond l'Allemand. Peut-être, mais la transparence des coûts réels et perceptibles par tout le monde est recherchée comme élément disciplinant la gourmandise en matière des soins. Et puis, des milliards sont mis à disposition des cantons pour réduire de moitié ou plus les primes des revenus modestes.

Egalement dans l'AVS, un élément super-socialiste consiste en des contributions illimitées sur tous les salaires, même sur les tantièmes des administrateurs de société, et pourtant le plus gros contributeur ne recevra jamais plus que le double de la rente minimale. Mieux, les titulaires des rentes minimales reçoivent des rentes complémentaires qui réduisent l'écart encore. En Allemagne, ou tout le monde réclame l'égalité à certains endroits, l'éventail des rentes par contre peut aller de un à dix.

On constate donc dans les deux pays des soucis d'égalité en même temps que l'acceptation de différences sociales notables. Le propre du système suisse, et disons-le dans ce discours de Premier Août, le propre du génie suisse, est d'accepter des «inégalités fonctionnelles» qui incitent à une conduite économe, et de les compenser ailleurs par des mesures qui ne nuisent pas à la rationalité des comportements. Quel grand dessein!

Pour revenir à la modestie, ce dessein est quelquefois le seul résultat du hasard et de l'inertie du processus politique, qui n'a pas trop suivi la mouvance européenne vers une égalité instantanée et politiquement démagogique souvent. La Suisse a omis certains excès, ce qui la faisait parfois apparaître comme anachronique, mais qui la rend soudainement moderne et en avance sur des réformes que l'Allemagne ou la France doivent entreprendre.

Ce grand dessein consiste en des primes et des prestations de santé valorisant le choix, les économies, et il se prolonge dans le système fédéraliste des recettes et des dépenses communales, cantonales. Chaque entité a les impôts qu'elle mérite. Dans le système des péréquations sociales ensuite, toute mesure a été votée ou, en l'absence de référendums, a été acquise tacitement.

Quand je ne reproduis pas de discours téléphonique de Premier Août, je me plains souvent des forces retardataires de ce même système. Ses succès ne doivent donc pas nous faire oublier que comme dans les autres pays, il faut adapter nos institutions. Il faut développer des services publics compétitifs, orientés vers des prestations bon marché et fiables et non pas vers la garantie de situations et d'emplois hérités du monopole. Il nous faut être rapides et innovateurs pour profiter de la mondialisation et non pas la subir. Et il faut améliorer l'entrain des ménages secourus par le système social en introduisant des éléments d'impôt négatif partout au lieu des soutiens passifs. Demandez ces exploits nouveaux au génie suisse, tout de suite, le temps s'y prête: de ce Premier Août aux élections fédérales il n'y plus que 78 jours!