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#sexpistols: il n’y a pas de photos à ce tag

C’est The data pack, un blog dédié aux données sociales numériques, qui a allumé la mèche fin août et depuis, elle se consume dans toutes les rubriques dédiées aux nouvelles technologies et aux réseaux sociaux : la liste des hashtags bannis des recherches sur Instagram. Comme celui de «sexpistols»

Les Sex Pistols en 1977 — © AFP
Les Sex Pistols en 1977 — © AFP

Les hashtags bannis des recherches sur Instagram comme celui de «sexpistols»? Au citoyen lambda, l’énoncé même du sujet paraîtra très sibyllin. Débroussaillons donc à grands coups de machette : Instagram, c’est une des plateformes sociales qui montent actuellement, spécialement auprès des jeunes générations, défrisées désormais de retrouver sur Facebook leurs parents et leurs grands-parents. Elle permet d’échanger et de diffuser des photos et, depuis juin de cette année également, des vidéos de moins de 15 secondes.

Avec ses 130 millions d’usagers actifs, ses 16 milliards de photos partagées, son milliard de likes journaliers et ses 45 millions de nouvelles photos ajoutées chaque jour que l’usager pèse sur le déclencheur: inutile de dire qu’Instagram oblige à quelques astuces pour rechercher son bonheur dans ce flot de données.

L’un d’eux, bien connu des utilisateurs de Twitter, est le hashtag (en français des puristes, le mot-dièse ou le mot-clic) : cette manière de mot-clé qui permet de s’y retrouver dans la masse des données qu’offre la plateforme.

Retour sur image avec un exemple concret: l’usager Instagram, tout à son bonheur de fêter ses quarante ans dans un prestigieux restaurant gastronomique, prend une photo, vite fait, via son application dédiée. Par exemple ce «bar de ligne au caviar d’Aquitaine comme l’aimait mon Père, Jacques Pic - 1971», qui vient de lui être présenté au Beau-Rivage, à Ouchy. Il retouche son cliché de mille petits filtres embellisseurs au nom cryptique (Amaro, Mayfair, Hudson, Sierra, Willow, Lo-fi, ...). Il l’orne d’un commentaire maison souvent non dénué d’ironie: «Moi chez Anne-Sophie Pic, décidément la meilleure cantine pour les fins de mois difficultueuses». Et s’il veut qu’on finisse par l’apercevoir, au-delà du cercle fermé de ses suiveurs, il renforce ce piquant message par quelques mots-clé bien choisis. «Bar» vient à l’esprit, bien sûr: il pourrait prêter à confusion. Mais «Annesophiepic», par exemple, ou «beaurivagepalace»... C’est déjà plus spécifique. Puis il orne tout cela d’un petit dièse habile par devant: le hashtag.

Ainsi lestée, la photo du bar de ligne peut affronter la Toile et son silence parfois assourdissant avec – peut-être –  l’efficacité d’un char sonorisé pour une street parade. Sur l’air de «En voiture Anne-Sophie, c’est toi qui cuisines, c’est moi qui klaxonne!»

Mais au pays de la notoriété en ligne, le hashtag «annesophiepic» a, bien sûr , moins d’impact disons que celui de «raclette» (27.511 items), de «fondue» (tous azimuts, 261.400 items), de «fries» (quelque 1 million et demi d’items), de «burger» (qui fait 200.000 de mieux). Enfoncés cependant tous par la mère absolue de toutes les batailles , «sushi» et ses 5 millions de photos.

A l’usager Instagram en mal de notoriété, plusieurs solutions s’offrent alors pour être pris dans le «loop» de ce qui fait la conversation et que les gens iront statistiquement chercher. Du côté des honnêtes expédients, photographier une fondue de contemporainsplutôt que son bar de ligne Jacques Pic est une option. Ou mieux encore (pour rester dans la distinction), ses sushis crapuleuxau Palace.

Du côté des solutions tordues (malhonnêtes serait un bien grand mot), l’usager a cependant le loisir de taguer son bar de ligne en utilisant l’appelation «raclette», ou encore «fondue», ou mieux encore «sushi». La version numérique inversée, en quelque sorte, du moyen-âgeux et légendaire «pâté de cheval et d’alouette». Comme il pourrait également recourir à toute la vaste panoplie des mots liés au sexe et à ses tribulations. Manipulation aussi vieille que la Toile sociale existe. Je ne vous apprends rien.

Et c’est en partie contre cela que les créateurs et aujourd’hui les gestionnaires d’Instagram ont décidé, en catimini, de partir en guerre, depuis des mois déjà. A tous ceux qui espéraient donc berner le voyeur avec des hashtags du genre «popular», «mostpopular», «iPhone» ou, pire encore, «sex», «nude», «oral» – je vous fais grâce des autres – , Instagram leur a coupé le sifflet: impossible d’y aller chercher avec de tels mots-dièse.

La purge, que listent avec passion tous les internautes un peu ferrés dans la problématique, concerne évidemment prioritairement tous les hashtags liés à l’expression de la sexualité. The Pack Data les répertorie avec méticulosité, de «17bitch» à «xxx». Et les internautes enrichissent chaque jour la pêche aux bannis: comme ce Qippy, qui, au 29 août 2013 lâche son répertoire patiemment collationné.

Dans un commentaire posté sur un forum spécialisé de développeurs, le co-fondateur d’Instagram, Mike Krieger, répondait, en mars 2012 déjà, à Jérôme Mahuet qui s’étonnait de ne pouvoir obtenir de réponse à la recherche via certains hashtags: «We’ve stopped serving feeds (both in app and API) for some tags that were too generic and didn’t provide enough end-user value; +iPhone+ is one of them». Lorsque quelqu’un sort sa «end-user value», il convient toujours de dresser l’oreille et d’apprécier à sa juste valeur le déploiement de la langue de bois euphémistique.

Depuis, les passionnés n’ont de cesse de traquer dans les codes sources des «queries» (des demandes, comme l’on dit en français), celles que les responsables d’Instagram ont vouées aux gémonies. Et dont, bien sûr, ils ne mettent pas à disposition le dénombrement officiel: ce serait trop simple et priverait les développeurs de cette chasse au Snark. A près tout pendant qu’ils font cela , ils ne font pas autre chose...

Retour à notre bar de ligne: tant que n’existeront pas de logiciels suffisament évolués et économiquement viables pour débusquer l’arnaque entre une photo de bar de ligne à la Jacques Pic et le mot-dièse associé «sushi», l’usager indélicat pourra continuer à la pratiquer. Mais qu’il sache qu’aujourd’hui déjà, les mots-clic «lingerie», «petite» et «foodorgasm», pour son fameux bar le conduiront à un échec certain auprès des autres usagers, ainsi notifiés en langage geek:« error_type APINotAllowedError code: 400, error_message: This tag cannot be viewed». Ce qui donne sur la plateforme Instagram: «no matching tags». Et pour les puristes: «il n’y a pas de mot-dièse à cette adresse». Première victime notable: les Sex Pistols!