En juillet 1938, des représentants de 32 pays d’Europe, dont la Suisse, se réunissaient à Evian pour trouver des places de réinstallation pour les quelques 700’000 Juifs allemands et autrichiens en danger. La conférence se solda par un échec. La suite de l’Histoire est connue.

78 ans plus tard une autre conférence internationale au sujet de réfugiés s’est tenue à Genève le 30 mars. Un jour pour trouver des places d’accueil pour les 10% les plus vulnérables d’un ensemble de 4’800’000 réfugiés syriens en Turquie, au Liban et en Jordanie. Donc 480’000 places sur 3 ans. 90 pays, dont la Suisse, ont participé à cette réunion de haut niveau. Le résultat de cette journée de discours fut, comme le disait le Temps du 31 mars d’assurer un «service minimum». Très peu a été offert, seules l’Italie et la Suède ont annoncé de nouveaux quotas. Quelques milliers de places et la conférence s’est soldée par un échec cuisant.

Entre-temps, la situation autour de la Méditerranée s’est encore dégradée. Il y a d’abord l’accord entre l’EU et la Turquie, la fermeture de la route des Balkans. Vient ensuite la prise de conscience aiguë que parmi ces réfugiés se trouvent aussi des réfugiés afghans, irakiens, sans compter les milliers de migrants économiques qui se trouvent en Libye, en Egypte et en Tunisie dans l’attente d’un hypothétique départ sur l’Europe. Il est certain que la Grèce et pas seulement Lesbos, l’Italie, Malte vont voir arriver cet été des milliers d’embarcations de désespérés. La Conférence de Genève n’était pas conçue pour considérer ces problèmes et a fait l’impasse sur une situation explosive.

Les échecs ne gênent personne

Et pourtant l’échec du 30 mars n’a pas l’air de gêner la Communauté internationale qui est repartie dans des projets de conférences, de réunions tous azimuts. A Londres en avril, un forum pour identifier de nouvelles approches en réponse aux problèmes du déplacement forcé. A Istanbul, le 23 et 24 mai, le premier Sommet Humanitaire Mondial et à New York, dans le cadre de l’Assemblée générale de l’ONU, «addressing large mouvements of refugees and migrants» le 19 septembre. L’agenda est donc bien rempli à défaut d’être convaincant.

A ce stade, nous constatons que la Communauté internationale n’est pas plus affûtée en 2016 qu’en 1938. Cependant, nous constatons que s’il est difficile de prévoir des résultats concrets de cette mobilisation diplomatique, force est de constater aussi qu’il reste une volonté de passer les écueils. On ne jette plus l’éponge aussi facilement.

On se doit d’admettre qu’il n’y a pas de solutions faciles. Que faire?

Considérer l’ensemble

Saisir dans leur ensemble les problèmes des réfugiés et des migrants. Nous sommes dans une situation sans précédent. Traiter les problèmes des réfugiés syriens sans tenir compte de l’énorme potentiel migratoire des 200’000 Africains qui attendant déjà sur les rives de la Méditerranée, des réfugiés Afghans, Irakiens et des réfugiés d’autres pays de la région est une aberration, un déni de réalité qui aura des effets catastrophiques.

Mettre à disposition des fonds nécessaires

Mettre à disposition les fonds nécessaires pour que les réfugiés dans les premiers pays d’accueil puissent avoir une vie digne de ce nom, y compris l’éducation des quelques 700’000 enfants. La Communauté internationale doit assurer sans faille des contributions à hauteur de quelques milliards par année. A Londres CHF 12 milliards ont été promis en janvier de cette année pour les trois ans à venir, mais ce ne sont que des promesses. A l‘heure actuelle, 5% seulement ont fait l’objet d’une donation effective. Pour donner un exemple, le HCR a besoin de 200 millions de CHF par mois et n’a reçu que 340 millions pour l’instant. Que le Programme Mondial de l’Alimentation (PAM) ait dû interrompre ses distributions de nourriture en octobre passé par faute de moyen est en soi une honte et pourtant rien ne laisse prédire que cette situation ne se reproduira pas cette année encore. Sans une assistance matérielle minimale garantie dans les pays de premier accueil, les réfugiés n’auront dans leur désespoir d’autres choix que de prendre le chemin vers l’Europe avec les risques que nous connaissons.

Réinstaller dans des pays tiers

Prévoir les places de réinstallation dans les pays tiers. Au moins 200’000 réfugiés par an doivent être admis pour alléger le fardeau que représentent les 5 millions de Syriens dans les premiers pays d’accueil. Je relève à ce sujet l’appel courageux et juste des 70 personnalités suisses pour que notre pays accepte 50’000 réfugiés syriens.

Assurer protection juridique

Assurer la protection juridique des réfugiés et des migrants et garantir à tout moment leurs droits humains.

Etablir un vrai dialogue

Etablir un vrai dialogue avec les pays d’origine (des réfugiés et des migrants) et les pays de transit.

Rechercher une solution globale

Imposer une démarche globale pour une recherche de solutions. Il faut commencer maintenant. La crise est grave, réelle. C’est là où la Suisse peut et doit jouer un rôle d’importance primordiale. Sa tradition humanitaire, sa neutralité, son expertise et son savoir-faire diplomatique reconnu lui permettent d’élaborer une politique des petits pas où tous les acteurs seraient consultés dans un cadre plus confidentiel que celui des grandes conférences internationales. La Suisse peut rompre ce cycle infertile de réunions et de conférences mal préparées en faisant participer à des degrés divers les pays d’origine, de premier accueil, de transit, les pays tiers, les donateurs actuels et les donateurs potentiels et toutes les Agences gouvernementales et non gouvernementales concernées. Ces démarches sont laborieuses, mais elles seules peuvent engendrer une volonté d’agir concrètement.

Il n’y a pas de solution facile. Nous avons simplement la responsabilité d’éviter un effondrement. Le Professeur Piguet le disait dans ces colonnes: «Ne pas intensifier nos efforts en espérant que les migrants restent à distance ou contournent la Suisse nous expose à une crise pire encore d’ici quelques mois si les conditions d’accueil se dégradent et à plus long terme au jugement de l’Histoire!»

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