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Le «soft power» des Etats-Unis est menacé

OPINION. L’attrait des Etats-Unis est sur le déclin. Et cela ne s’explique pas uniquement par l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche, écrit le chercheur de l’EPFZ Jack Thompson. L’Europe devrait s’en inquiéter

Manifestation contre les frappes des Etats-Unis en Syrie. Crimée, 15 avril 2018. — © PAVEL REBROV
Manifestation contre les frappes des Etats-Unis en Syrie. Crimée, 15 avril 2018. — © PAVEL REBROV

Les Etats-Unis sont le pays le plus influent de la planète. Ils sont la première économie du globe, leur puissance militaire est sans égale et leur culture jouit d’un rayonnement mondial. Or, le pays fait aujourd’hui face à des contraintes nationales et internationales qui menacent son hégémonie. Le déclin de son soft power – c’est-à-dire sa capacité à convaincre et à influencer les autres nations en vue d’agir sur les questions mondiales – soulève notamment des inquiétudes.

Selon les enquêtes, certains aspects de ce soft power restent solides. Ainsi, la culture populaire des Etats-Unis (cinéma, télévision, musique) est plus influente qu’aucune autre et les Américains sont très appréciés.

Le tableau général est toutefois plus sombre. Le leadership mondial des Etats-Unis se révèle moins prégnant, de sorte que le pays se classe désormais au même niveau que la Chine et la Russie. La perception négative de sa démocratie est un autre sujet de préoccupation. Si les Américains sont fiers de leur système de gouvernement, celui-ci suscite la méfiance dans de nombreux pays. La diffusion des idées et traditions américaines rencontre également d’importantes résistances.

Comment expliquer cet état de fait? Il est tentant de blâmer le président Donald Trump, impopulaire dans le monde entier, à l'exception de quelques pays comme la Russie et Israël. Rares sont ceux qui s’attendent à ce qu’il fasse preuve d’un leadership efficace et son programme consistant à faire passer l’Amérique en premier («America First») se heurte à une large opposition.

Radicalisation de la politique des Etats-Unis

En réalité, les problèmes couvent depuis les années 1970 et sont bien plus profonds. La culture politique des Etats-Unis montre, par exemple, des signes inquiétants de radicalisme. En témoignent l’affaiblissement de l’attachement aux valeurs démocratiques et la recrudescence de l’adhésion aux idées et mouvements extrémistes. Ce phénomène touche en particulier les Blancs de la classe ouvrière et les Blancs de culture conservatrice, dont beaucoup se sentent menacés par la mondialisation et la diversité croissante du pays.

Le discours nationaliste-populiste de Trump surfe sur ces tendances et sur le scepticisme à l’égard de l’engagement international exprimé par une large minorité d’Américains. En effet, sur les questions des alliances, du commerce international, de l’immigration et du changement climatique, la plupart des électeurs du Parti républicain sont favorables à un désengagement au moins partiel de l’ordre mondial actuel.

Des années d’interventions militaires infructueuses au Moyen-Orient, en Asie centrale et en Afrique ont nourri l’image d’une nation belliqueuse et inepte

Le pouvoir d’influence des Etats-Unis a aussi souffert des politiques à courte vue. Des années d’interventions militaires infructueuses au Moyen-Orient, en Asie centrale et en Afrique ont nourri l’image d’une nation belliqueuse et inepte. La manie des Etats-Unis de prêcher le respect des lois et normes internationales, puis de bafouer ces principes lorsque cela les arrange, étaye en outre les accusations d’hypocrisie.

Les effets d’un déclin du soft power américain ne sont pas à sous-estimer. Les Etats-Unis ont tiré grand profit de leur statut de nation admirée, qui a aidé les entreprises à vendre à l’international, attiré les talents étrangers, facilité l’appui aux démocraties émergentes et accrédité la ligne diplomatique du pays.

L’émergence d’un modèle autoritaire

Tous ces profits seront remis en questions. Les entreprises ne se réjouiront pas de la détérioration de l’image de marque des Etats-Unis décelée par les analystes. De surcroît, compte tenu de l’objectif de réduire l’immigration fixé par l’administration Trump et du caractère complexe et capricieux du processus de délivrance des visas, elles auront plus de mal à embaucher des travailleurs étrangers qualifiés. Les universités ont observé une chute des inscriptions d’étudiants étrangers, ce qui restreint encore le vivier de talents à la disposition de l’industrie.

L’émergence, en lieu et place de la démocratie libérale, de modèles autoritaires qui semblent viables complique la promotion de la démocratie. La Chine, par exemple, s’est imposée comme un formidable contrepoids. Des politiques telles que l’initiative «One Belt, One Road», le format 16+1 avec l’Europe centrale et orientale et la création d’instituts Confucius dans des centaines d’universités étrangères renforcent la domination de Pékin.

La dégradation du soft power américain devrait inquiéter les décideurs politiques, qui auront besoin de tous les atouts disponibles pour maintenir les Etats-Unis au rang de première puissance mondiale. Espérons également que ce déclin donnera à réfléchir à ceux qui prétendent que le nationalisme populiste ne ternira pas l’image de la nation.

La perte d’influence des Etats-Unis devrait aussi préoccuper l’Europe, dont la politique étrangère et de sécurité est notamment fondée sur l’idée que les Etats-Unis resteront une puissance mondiale efficace et engagée. Bien qu’il s’agisse d’un partenaire imparfait, le monde sera moins réceptif aux valeurs européennes si les Etats-Unis ne ravivent pas leur capacité à convaincre et à influencer d’autres pays.

Cet article est un résumé de la contribution au Strategic Trends 2018 du Global Security du Center for Security Studies (CSS) publiée le 13 avril.

Jack Thompson est chercheur senior au sein de l’équipe Global Security du Center for Security Studies (CSS), intégré à l’EPFZ.