Ce salaire apparaît très insuffisant par rapport à d’autres secteurs comparables. En équivalent plein-temps, les infirmiers et infirmières de Suisse romande perçoivent ainsi 1000 francs de moins que les personnes qui ont suivi une formation de même niveau dans une haute école spécialisée ou une haute école pédagogique (chiffres de l’OFS). Et la comparaison avec des professions de revenu équivalent leur est tout aussi défavorable: les membres de la police perçoivent par exemple un revenu à peine moins élevé que celui des infirmières, alors même que leur formation de base est moitié moins longue, qu’ils bénéficient de meilleures conditions de retraite et que, si l’on en croit les chiffres de la Suva, leur plus forte exposition aux accidents est largement compensée par une sous-exposition aux maladies professionnelles.
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Plus largement, le revenu des infirmiers et infirmières montre que la profession n’échappe pas aux inégalités de genre. Les hommes actifs dans le secteur contournent en partie l’écueil des bas salaires en visant les fonctions les mieux valorisées: ils sont non seulement surreprésentés aux postes de cadre et de direction, mais perçoivent aussi un salaire 5% plus élevé que les femmes à statut, nationalité, lieu de résidence et lieu d’exercice équivalents. Par ailleurs, le revenu des infirmières de sexe féminin semble encore largement considéré comme un revenu d’appoint: celles qui vivent en couple gagnent en effet systématiquement moins que leur partenaire, et elles tendent à diminuer leur taux d’activité à mesure que progresse le revenu de leur partenaire (phénomène qui ne se vérifie pas chez les infirmiers hommes). Nos données révèlent ainsi des carrières professionnelles féminines marquées par l’usure, associée à une désertion des secteurs hospitaliers où la pénibilité physique est la plus lourde et à une diminution des taux d’activité.
Initiative populaire
Si les applaudissements aux balcons constituent sans doute un soutien bienvenu en ces temps de pandémie, cette rétribution symbolique ne saurait suffire. Le risque est grand en effet que, sitôt l’émotion et les peurs retombées, la profession infirmière réintègre son rôle de l’ombre au sein d’un système sociosanitaire de plus en plus régi par des lois comptables. L’Association suisse des infirmières et infirmiers l’a bien compris: alors que ses innombrables appels des dernières années concernant la dégradation des conditions d’exercice de la profession ont suscité une certaine indifférence, elle s’est fendue d’une lettre ouverte au parlement suisse dans laquelle elle dénonce les choix politiques relatifs au système de santé et exige des actions concernant la formation, la reconnaissance statutaire, les conditions de travail et la valorisation salariale de la profession. Tout en prenant appui sur les conditions révélées par la crise sanitaire actuelle, ces revendications s’inscrivent dans la droite ligne de l’initiative populaire «pour des soins infirmiers forts». Déposée en 2017, cette initiative a été rejetée par le Conseil fédéral et fait actuellement l’objet d’un contre-projet qui vide partiellement le texte initial de sa substance. Si les négociations en cours ne devaient pas aboutir, l’initiative serait alors soumise au vote populaire, probablement en 2021.
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Souhaitons alors que les citoyennes et citoyens suisses se montrent aussi enthousiastes et réalistes qu’ils l’auront été sur leurs balcons en ces temps de confinement.
* L’Espace infirmier. Visions et divisions d’une profession. Livre à paraître au mois de mai aux Editions Livreo Alphil: Le pdf est téléchargeable gratuitement auprès de l’éditeur.