Le soleil brille à Rome
ma semaine suisse
Le populisme antieuropéen ne se porte pas aussi bien que le score du Front national le suggère. L’exemple italien est à méditer. Matteo Renzi suscite bien des espoirs dans la Péninsule et en Europe. L’Union est sans doute mal-aimée, mais elle reste terriblement nécessaire, juge encore la grande majorité des citoyens européens

Ma semaine suisse
Le soleil brille à Rome
Quelques semaines avant la tenue des élections européennes, l’historien britannique Niall Ferguson prenait à revers ceux qui dramatisaient la montée programmée d’une puissante vague europhobe. Parlant des conséquences politiques en Europe de la crise financière de 2008, il s’étonnait que celles-ci soient plutôt limitées: «Le populisme anti-européen ne se porte pas si bien; curieusement, il va même plutôt mal.»
Les électeurs européens lui ont-ils donné tort? Pas vraiment. La victoire du Front national en France, aussi spectaculaire et inquiétante soit-elle, témoigne surtout de la situation particulière de ce pays: l’Hexagone traverse une crise économique et sociale, mais aussi politique, démocratique et morale aiguë. «Nulle part ailleurs qu’en France la crise de la modernité n’est ressentie aussi fortement», éditorialise le New York Times. Quant à la victoire de l’UKIP, elle renvoie au malaise congénital de la Grande-Bretagne face à une Europe mal-aimée et mal comprise des insulaires britanniques.
Pris dans leur globalité, en dépit d’une avancée des partis eurosceptiques assez logique vu le contexte difficile, les résultats donnent toujours une confortable majorité aux partis favorables à l’UE; ceux-ci seront contraints de coopérer plus étroitement, ce qui présente quelques avantages. Les Européens convaincus que la solution aux problèmes socio-économiques sur le Vieux Continent passe par le démantèlement de l’Union restent très minoritaires. Face aux Etats-Unis, à la Chine ou à la Russie, pour jouer sur le grand échiquier de la mondialisation, les Etats d’Europe n’ont pas d’autres solutions que de se muscler et de serrer les rangs.
Le journaliste Jean Quatremer ose la provocation: «A part un séisme français, il ne s’est à peu près rien passé en Europe!» Grand spécialiste des affaires européennes, qu’il raconte sur son blog avec beaucoup de pédagogie et d’esprit critique, il s’étonne que, dans les pays les plus exposés à l’austérité dictée par Bruxelles, les eurosceptiques n’ont pas cartonné. A l’instar de la Grèce, le pays qui a le plus souffert ces dernières années.
Plus proche de la Suisse, le recul de l’europhobe Geert Wilders aux Pays-Bas n’est pas un signal négligeable. Idem pour le succès très relatif (7%) du nouveau parti eurosceptique allemand Alternative für Deutschland. Son score modeste est contrebalancé par le vote sanction visant la CSU: la branche bavaroise du parti conservateur de la chancelière Angela Merkel paie cash (–10%) son discours anti-européen jugé inconvenant pour une formation de gouvernement dans ce pays convaincu de la nécessité de l’intégration.
La meilleure nouvelle vient d’Italie. Matteo Renzi a ringardisé le populiste et europhobe Beppe Grillo; son triomphe éveille bien des espoirs dans la Péninsule, mais aussi en Europe. Par son style, sa méthode, sa posture de leader post-idéologique, Renzi colle à son époque. Son aisance, son langage simple, sa gestuelle décontractée, son aplomb transcendent les clivages. Il reçoit la légitimité démocratique qui lui manquait. Ce n’est pas le moment de faire la fine bouche. On ne lutte pas efficacement contre le populisme crasse en jouant les puristes. Il y faut aussi un peu de démagogie, voire quelques coups de canif à l’esprit des institutions et de la démocratie.
Les premiers pas de Renzi montrent que le courage politique paie. L’exemple est-il exportable? L’Allemagne rêve que le réformateur italien inspirera le premier ministre français Manuel Valls. Les deux sont jeunes, énergiques, pressés et ont de l’autorité. Les deux ont besoin de résultats rapides. Les deux savent que seules des réformes courageuses rendront leurs pays plus solides et compétitifs.
Vu de Berlin, l’état d’esprit de Renzi rappelle celui du chancelier Schröder le jour où il osa, lors de son deuxième mandat, endosser enfin l’habit du réformateur qu’il avait promis d’être à ses débuts. Ce fut un moment fort de la vie allemande. Schröder sauta dans le vide sans plus tergiverser. Dos au mur, il renonça à sa politique «de la main tranquille» faite de micro-compromis pour imposer brutalement un chantier de réformes difficiles. Son parti, divisé, se scinda, mais Schröder regagna l’estime des Allemands et échoua de peu aux élections suivantes. L’électrochoc profite encore à l’Allemagne de Merkel, qui a absolument besoin d’une France requinquée pour que l’Europe s’entende à nouveau sur des politiques donnant des perspectives aux Européens.
On ne lutte pas efficacement contre le populisme le plus crasse en jouant les puristes
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