Staline, «petit père des peuples» ou monstre intégral? Réponses possibles par les citations: «La mort résout tous les problèmes. Pas d’hommes, pas de problèmes.» Car c’est bien «avec ce genre de déclaration» que Iossif Vissarionovitch Djougachvili (1878-1953) «a écrit une histoire de l’URSS, indissociablement liée à la sienne», rappelle opportunément Le Figaro. Ou alors, pour décrire ses actions et exactions – «les historiens lui attribuent jusqu’à 20 millions de morts», rappelle le magazine TV8: «Le plus grand plaisir, c’est de choisir son ennemi, préparer son coup, assouvir sa vengeance, puis aller se coucher.»

«L’homme d’acier», donc, ou Staline en russe, «un des tyrans les plus sanguinaires de l’Histoire»: voilà le destin pour le moins controversé sur lequel les auteurs des séries Apocalypse et spécialistes de la mise en couleurs d’archives historiques se penchent ce soir sur France 2. Libération y consacre deux pages ce matin, signées Laurent Joffrin, qui ne vont pas calmer les esprits autour de l’une des figures historiques du XXe siècle qui fait le plus débat, aujourd’hui encore. Mais on ne soupçonnera pas ce dernier d’une vision farouchement anticommuniste.

Staline et les extraterrestres: la sélection télé hebdomadaire du «Temps»

«Gros sabots contre un bourreau», écrit Joffrin à propos du documentaire d’Isabelle Clarke et Daniel Costelle (écoutez-les sur France Inter) sur le fils de cordonnier devenu dictateur sanguinaire, diffusé en trois épisodes consécutifs. Pour tenter de décortiquer un personnage qui relève encore passablement du mystère, comme le montrent bien les sept séquences que les réalisateurs commentent pour TéléObs. Du mystère soviétique, et c’est bien là le problème, puisque selon Libé, l’opus «ne s’embarrasse d’aucune nuance pour expliquer le phénomène révolutionnaire».

Allons, donc! Et pourquoi l’auteur devrait-il offrir une version de documentaire «revu et corrigé», comme on peut le lire à la une du quotidien français? Parce que «ceux qui doutent encore de la nocivité maléfique» du régime stalinien regarderont ces images «avec fascination, comme on est fasciné par le mal». Attention, avertit pourtant le critique: ils seront peut-être «accablés par le nombre des massacres et des assassinats», mais ils manqueront, selon lui, «une partie de l’histoire, celle qui ferait comprendre pourquoi, malgré l’immensité de la répression, tant de citoyens honnêtes, tant d’intellectuels généreux, tant de militants sincères ont cru au communisme, jusqu’à lui consacrer leur temps, leur talent, leur énergie, et parfois leur vie».

Un «film d’horreurs»

«Dans ce film d’horreurs», poursuit Joffrin, «il manque» donc «un peu de complexité». Par exemple, «on ne cherche pas à comprendre pourquoi cette révolution russe, aussi sanglante qu’elle ait été, fut le point de ralliement de millions de prolétaires à travers le monde, en dépit des crimes et des mensonges». Avec «le piège décisif de Stalingrad, la destruction méthodique de la Wehrmacht, tous ces gestes essentiels pour vaincre le nazisme [qui] furent l’œuvre de Staline. L’Histoire a ses paradoxes tragiques, que le film évite: Staline fut un des plus grands assassins de tous les temps. Mais, malgré tous ses crimes, nous lui devons beaucoup.»

Le Monde est plus prudent, qui trouve «surprenant le parti pris des ruptures chronologiques». Elles «peuvent déconcerter». Le premier épisode aborde par exemple l’année 1936, lorsque le «tsar rouge terrifie jusqu’à ses proches». Puis «le récit, qui épingle le mensonge masquant toute réalité en URSS, amorce l’invasion nazie en juin 1941, pour revenir sur les origines d’un obscur Géorgien né sous Alexandre II, […] avant de rejouer avec la chronologie dès qu’un lieu, un sentiment, voire un ressentiment le permettent. Peur de lasser par une stricte continuité […]? C’est en tout cas peu convaincant.»

On en ressort «assourdi»

Cela dit, après avoir corrigé une confusion des cinéastes entre deux tsars (Nicolas II et Alexandre II), Le Monde pense que l’évocation est «solide, didactique malgré tout, qui fait la part belle à l’extrême violence d’un régime de suspicion et de terreur». Et «avec le recul historique, le décalage entre la béatitude des images de propagande et la noire réalité vécue par le peuple soviétique», juge La Croix, le film «laisse un profond sentiment de malaise» en «reposant la question essentielle du soviétisme: le statut donné à la vérité et à la confiance». On en ressort donc «quelque peu assourdi»: «Le ton martial, voire apocalyptique, adopté par Mathieu Kassovitz, quoique bien adapté au sujet, peut assommer. […] Mais le but essentiel – se souvenir pour être vigilant – est atteint.»

On s’en souviendra donc, oui, grâce aux «équipes d’archivistes françaises et russes», détaille Télé-Loisirs, «qui ont travaillé durant 15 mois pour collecter plus de 210 heures d’archives filmées et 500 documents iconographiques. Le résultat est exceptionnel. La quasi-totalité des séquences que vous verrez n’ont jamais été diffusées en Occident. On y voit Staline jeune, sa mère ou encore Trotski le jour de son expulsion d’URSS. La colorisation humanise ces visages et donne à ce film un caractère très actuel.»

Un site internet dédié

Le site Archimag signale aussi que «comme pour les Apocalypse précédents, France 2 a complété» le tout d'«un site internet riche d’informations: timeline interactive, fiches détaillées sur chacun des protagonistes du documentaire, affiches de propagandes, grands chiffres, citations et vidéos… Chacun peut ainsi approfondir sa lecture du film.» Et signale «qu’un autre documentaire, dédié cette fois-ci aux archives de la Guerre froide et préparé par les mêmes réalisateurs, est également attendu pour l’année prochaine». On en salive d’avance.

«Apocalypse – Staline». Sur France 2, ce mardi 3 novembre, en trois épisodes: «Le possédé», à 20h55; «L’Homme rouge», à 21h45; «Le maître du monde», à 22h40. Avec, dans le rôle du narrateur, la voix off de Mathieu Kassovitz. Voir ici la présentation du documentaire par le magazine «TV8».

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