L'ascension internationale des grandes banques suisses, leur entrée dans les premiers rangs des classements mondiaux, est récente. La success story démarre vraiment après la Seconde Guerre mondiale et s'appuie alors sur les bienfaits de la stabilité politique et économique suisse et du franc.

Les débuts sont moins flamboyants. La scène bancaire suisse appartient longtemps à des instituts de change et de crédits locaux ainsi qu'aux banques privées. En 1848, le paysage bancaire épouse les structures économiques et politiques du pays. Un vide sépare des banquiers privés élitaires et des instituts de crédit populaires dans un pays qui n'a de loin pas l'habitude de réfléchir en termes nationaux.

Pourtant, la demande de crédits pour la construction des chemins de fer est considérable. Qui s'engouffrera dans ce marché? L'impulsion nécessaire est fournie en 1852 par la décision des Chambres fédérales de laisser à l'initiative privée le gigantesque financement et l'exploitation du réseau ferroviaire. Le Credit Suisse répond le premier à ce défi, à partir de Zurich, en 1856, à l'initiative d'Alfred Escher et avec l'aide de capitaux étrangers. C'est la première véritable banque d'affaires de dimension suisse. Un format nécessaire au financement de projets tels que ceux du Gothard et du Simplon.

Le CS, c'est le moteur de l'économie, le générateur d'idées, selon un modèle qui sera repris plus tard dans le cadre de l'électrification du pays. Et Alfred Escher un visionnaire qui imaginera le Zurich d'aujourd'hui, le créateur de l'Ecole polytechnique fédérale, de la banque d'affaires, de l'assurance-vie, avec la Rentenanstalt, et le porte-drapeau de la politique libérale.

Après le CS, six ans plus tard viendra la Bank in Winterthur, ancêtre de l'UBS, treize ans plus tard la Banque Populaire, à Berne, proche des petites et moyennes entreprises. L'étiquette de banque élitaire et purement zurichoise colle tout de suite à la peau du Credit Suisse. Elle ne le quittera pas de sitôt. Malgré Escher, la stratégie initiale est une suite d'essais et d'erreurs. En 1867, le CS plonge même dans les chiffres rouges. Ce sera la dernière fois jusqu'en 1996.

Durant ses premières années, la banque prendra des risques impensables aujourd'hui, tant ils se concentrent sur un minimum de participations. A la fin de sa première année d'existence, le financement des Chemins de fer du Nord-Est (NOB) représente le quart de son portefeuille.

Engagements énormes aussi avec la création de l'actuelle Swiss Life en 1857. Le vent de la bancassurance ne souffle pas encore. Pourtant, déjà à cette époque, le CS est friand d'assurances. Il participe à la création de Helvetia Incendie, de l'actuelle Swiss Re et de La Suisse, assurance de transport. Qui s'étonnera dès lors du rachat du groupe Winterthur un siècle plus tard? Des allers et retours de ses patrons entre Swiss Re et le CS? Lukas Mühlemann venait de Swiss Re, le président actuel du conseil d'administration, Walter Kielholz, également.

La banque participe aussi à la création d'instituts bancaires, comme la Basler Handelsbank, le Basler Bankverein, qui devint plus tard la SBS, et de la BSI, aujourd'hui membre de Generali après être passée aux mains de la SBS.

Dans l'industrie, le Credit Suisse crée moins d'entreprises qu'il ne prend des participations dans leur capital, à l'exception notable de l'électricité. Son tableau de chasse est orné de beaux trophées, comme Oerlikon, Georg Fischer, Escher Wyss, Brown Boveri & Cie. A partir de 1870, il tente sa chance dans des participations étrangères, avec Krupp et plus tard AEG.

En 1905, il se lie à Chamer Anglo-Swiss Condensed Milk, qui deviendra Nestlé. Dans l'alimentation, il finance aussi Maggi et Sprüngli. Dans l'électricité, il participe à la première grande centrale sur le Rhin, à Rheinfelden (AG), en 1894. Et l'année suivante, avec la Deutsche Bank, AEG et des instituts suisses, il fonde ce qui deviendra Elektrowatt.

La banque d'Alfred Escher reste toujours aussi zurichoise et, hors de la clientèle étrangère, ne compte que peu de débiteurs du reste du pays. La première filiale hors de Zurich est ouverte à Bâle en 1905. Ce qui ne l'empêchera nullement d'être, à la fin de la Première Guerre, la première banque du pays, même s'il sera vite dépassé par la SBS et la BPS.

Les années 1930 et la crise internationale sont mieux traversées par les instituts domestiques que les banques actives à l'international. La principale victime sera la seule grande banque romande, la Banque d'Escompte Suisse. Seuls le Credit Suisse et la SBS traversent cette période sans aide de l'Etat ni réduction du capital. Et parviennent même à éviter des licenciements. C'est aussi le moment des premiers pas à New York pour le CS, dans un contexte de risques politiques majeurs.

Innovant, le CS participe à la création de la SIP, le premier institut en Europe à offrir des placements collectifs. Prélude au fonds CS Equity Fund Swiss blue chips, qui fêtera bientôt ses 60 ans. La banque traverse la guerre tiraillée entre deux forces, l'adaptation et la protection de la clientèle. Son comportement sera critiquable sous maints aspects, ainsi que diverses commissions l'ont démontré. La banque a sans doute manqué de sensibilité et de détermination, ainsi que l'affaire des fonds en déshérence l'a mis en évidence.

Après la guerre, le CS occupe le deuxième rang des grandes banques derrière la SBS. Les banques suisses tirent pleinement profit de la stabilité du pays, du franc et de sa fiscalité. Au milieu des années 1960, pour la première fois le bilan des banques dépasse le PIB de la Suisse. Le CS, l'UBS, la SBS sont au coude-à-coude. Mais, plus conservatrice, la banque d'Alfred Escher se fait distancer. Surtout entre 1966 et 1976, lorsque le dynamisme s'appuie sur l'international et la banque de détail.

Grandes banques en Suisse, les principaux instituts du pays sont bien modestes sur la scène internationale. L'UBS, première banque suisse depuis 1966, n'occupe en 1973 que le 47e rang mondial. Les banques suisses entament alors leurs investissements dans un créneau fortement prometteur, la banque d'investissements. Le CS le fera d'abord à travers la new-yorkaise White Weld, d'où est issu Oswald Grübel, l'actuel CEO du CS, puis à la fin des années 1970 avec First Boston.

C'est alors qu'explose le scandale de Chiasso, l'un des moments clés de l'histoire du CS et du système suisse. L'affaire marquera une césure. Une affaire criminelle qui voit Ernst Kurmeyer, le directeur adjoint de la filiale tessinoise employer l'argent des clients à travers des canaux inhabituels, par l'intermédiaire de Texon, une société financière au Liechtenstein.

Les malversations, qui débutent dès la fin des années 1960, prendront des années avant d'être comprises, malgré divers avertissements, y compris d'autres banques. Le siège zurichois du CS et son patron, Heinz Wuffli, le père de l'actuel brillant patron de l'UBS, se décident enfin à intervenir. Au-delà des 2,2 milliards d'argent de la clientèle placés hors de son bilan, de la plus grande perte de son histoire, la réputation de la banque et du pays sera entamée. Comment a-t-on pu attendre quinze ans avant d'enquêter sur les clients de Texon? L'affaire sera aussi médiatique que politique. Et une nouvelle génération sera mise en place.

Virage culturel? Jusqu'au milieu des années 1970, les directeurs généraux du CS sont Suisses, ont fait carrière au siège de Zurich, sont tous protestants, majoritairement non universitaires, et dans ce cas surtout juristes, et, au militaire, moins gradés que par la suite. Après Chiasso, un fort rajeunissement se met en place, sous l'impulsion de Rainer Gut, alors porte-parole de la direction, dont l'ascension sera fulgurante.

Avec l'internationalisation et la déréglementation, l'importance croissante de l'innovation financière et de l'informatique, mais aussi une mise en avant des intérêts de l'actionnaire, les structures de la place sont profondément altérées. Les hiérarchies et classements changent notablement, au profit des banques suisses. Les fusions se multiplient. Le CS Holding souligne son ancrage helvétique, rachète une grande banque, Leu en 1990, puis une autre, la BPS en 1993, et devient leader suisse dans la banque de détail.

A l'international, le CS devient la première banque non américaine à tenir la majorité d'une grande banque d'affaires américaine. Et dans l'assurance, au printemps 1996, il reprend la Winterthur, pilier d'une stratégie de bancassurance qui ne tiendra pas ses promesses. Ces initiatives soulignent une fois de plus la prise de risques et l'esprit innovateur de la banque qui ne l'a pas quittée depuis Alfred Escher.

En 1996 encore, Rainer Gut, l'homme qui a modernisé, américanisé et dynamisé le CS, téléphone à son homologue de l'UBS, alors aux prises avec une attaque de Martin Ebner. Il ambitionne une mégafusion. Il essuie un refus, mais cela n'empêchera pas la fusion de l'UBS avec la SBS de Marcel Ospel en 1998. Le groupe part alors vers de nouvelles conquêtes, aux Etats-Unis surtout, en s'appuyant sur la solidité et la rentabilité de ses activités de gestion de fortune.

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