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Subjectif. La semaine de Beat Kappeler *

Cette semaine m'a apporté un triomphe, car le Conseil fédéral a approuvé

Cette semaine m'a apporté un triomphe, car le Conseil fédéral a approuvé la proposition de loi qui devra promouvoir les techniques d'information et de communication dans les écoles. C'est exactement ce que le groupe de réflexion sous ma présidence avait proposé en 1997. La loi passe maintenant au Parlement et sera applicable à partir d'avril 2002 au plus tôt, et elle vise 2007 pour accomplir sa tâche. Dix ans après le rapport! Dans un secteur dont les données changent tous les deux ans! Mon triomphe ne consiste donc pas dans cette action gouvernementale si tardive, mais dans ma détermination, en 1997 déjà, de ne plus participer à cette œuvre. J'avais acquis l'expérience de la lenteur suisse dans d'innombrables commissions quand j‘y représentais l'Union syndicale et je m'étais juré de ne plus participer à ces méandres administratifs. On pourrait qualifier ceci de lâcheté, mais ayant consacré quinze années à la commissionnite aiguë, je pense avoir rempli mon devoir civique.

Je regarde d'ailleurs les entretiens des partis gouvernementaux à la maison de Watteville avec le même détachement. J'y avais participé aussi deux ou trois fois, et c'est resté la même chose: une ronde de notables sans aucune conséquence, sans sanctions si un parti gouvernemental sort ensuite des rangs. Le manque de programme de ce gouvernement ne peut pas être replâtré par une discussion à bâtons rompus tous les deux ou trois mois. Je livre ce papier vendredi, le jour même de cet entretien, et le pronostic est simple: les divergences resteront les mêmes. Peut-être pas entre tous les états-majors des partis, mais entre les parlementaires qui restent libres de naviguer. On causera Armée XXI par exemple, un projet déjà «voté» par le Conseil fédéral après des procédures internes abondantes entre départements, donc entre les ministres de la soi-disant coalition gouvernementale. Mais ce projet reste contesté de tous les côtés. Ou encore le blanchiment d'argent et le Forum de Davos, deux autres sujets de discussion à Watteville. Là, le parti socialiste dira avant et après ce qu'il voudra et, pour le grave sujet des négociations des droits aériens pour l'aéroport de Zurich, chaque parti ira ensuite clamer sa propre variante démagogique à Zurich.

Autre signe de la lenteur hâtive qui caractérise la Suisse officielle – les instances de conseil que propose la Commission fédérale des étrangers pour atténuer les cas des illégaux et des travailleurs au noir venant de l'étranger. On trébuche sur un problème, d'ailleurs vieux de plusieurs années, et au lieu de le résoudre on propose une nouvelle instance. La vie publique et administrative se compliquera encore, elle sera encore plus opaque. Le propre de telles instances, comme de celles pour les femmes, les jeunes, les vieux, les étrangers, les toxicomanes, est de promulguer des prises de position à elles, de promouvoir des études supplémentaires, de donner des interviews apparaissant comme des positions officielles. Mais ces instances n'ont aucun pouvoir; elles font semblant.

Une instance qui vient de fournir du bon travail est le Tribunal fédéral. Il confirme sa politique des indemnités en attribuant à une famille victime d'un meurtre les 50 000 francs qu'il ne dépasse pratiquement jamais. Bien sûr, on accorde les dommages et intérêts entiers, mais le Tribunal se garde d'y ajouter les indemnités monstrueuses qui poussent la machine judiciaire américaine aux excès que l'on sait. L'arrêt a été pris par l'unanimité des juges de Mon Repos, ce qui augure bien pour la constance de cette attitude. La deuxième source des dérives judiciaires américaines est la participation des avocats aux sommes ainsi obtenues par leurs clients. En Suisse le «salaire au mérite» des avocats est interdit, ils ne peuvent pas exiger un pourcentage du butin. Avec ces deux freins, indemnités parcimonieuses et avocats payés à l'heure, la justice est bien rendue.

La société suisse allemande quant à elle ne semble pas évoluer. Au centre de Berne, j'ai passé devant un groupe de jeunes hommes et d'une seule femme qui visiblement étaient en pause, de séance ou de cours – et effectivement, la plaque sur la porte annonçait une école de cadres de gestion. Et trois minutes après, j'ai passé devant un groupe de jeunes femmes, en pause aussi. L'affiche présentait une école d'assistantes de médecine dentaire. Comme tous ces jeunes gens avaient entre 20 et 25 ans et comme les sexes étaient bien départagés, on peut affirmer sans se tromper que pendant quarante ans les hommes dirigeront les entreprises et les femmes travailleront dans le secteur socio-sanitaire. Sauf si les accords bilatéraux apportent un correctif par l'immigration. Je ne le pense pas. La lenteur sociale de la Suisse ne mérite peut-être pas un Etat plus rapide. Ou bien, un Etat débrouillard pourrait-il changer la société? Je n'en suis pas sûr. Restons Suisses et attendons.

* Editorialiste à la «Weltwoche».