Autre signe de la lenteur hâtive qui caractérise la Suisse officielle – les instances de conseil que propose la Commission fédérale des étrangers pour atténuer les cas des illégaux et des travailleurs au noir venant de l'étranger. On trébuche sur un problème, d'ailleurs vieux de plusieurs années, et au lieu de le résoudre on propose une nouvelle instance. La vie publique et administrative se compliquera encore, elle sera encore plus opaque. Le propre de telles instances, comme de celles pour les femmes, les jeunes, les vieux, les étrangers, les toxicomanes, est de promulguer des prises de position à elles, de promouvoir des études supplémentaires, de donner des interviews apparaissant comme des positions officielles. Mais ces instances n'ont aucun pouvoir; elles font semblant.
Une instance qui vient de fournir du bon travail est le Tribunal fédéral. Il confirme sa politique des indemnités en attribuant à une famille victime d'un meurtre les 50 000 francs qu'il ne dépasse pratiquement jamais. Bien sûr, on accorde les dommages et intérêts entiers, mais le Tribunal se garde d'y ajouter les indemnités monstrueuses qui poussent la machine judiciaire américaine aux excès que l'on sait. L'arrêt a été pris par l'unanimité des juges de Mon Repos, ce qui augure bien pour la constance de cette attitude. La deuxième source des dérives judiciaires américaines est la participation des avocats aux sommes ainsi obtenues par leurs clients. En Suisse le «salaire au mérite» des avocats est interdit, ils ne peuvent pas exiger un pourcentage du butin. Avec ces deux freins, indemnités parcimonieuses et avocats payés à l'heure, la justice est bien rendue.
La société suisse allemande quant à elle ne semble pas évoluer. Au centre de Berne, j'ai passé devant un groupe de jeunes hommes et d'une seule femme qui visiblement étaient en pause, de séance ou de cours – et effectivement, la plaque sur la porte annonçait une école de cadres de gestion. Et trois minutes après, j'ai passé devant un groupe de jeunes femmes, en pause aussi. L'affiche présentait une école d'assistantes de médecine dentaire. Comme tous ces jeunes gens avaient entre 20 et 25 ans et comme les sexes étaient bien départagés, on peut affirmer sans se tromper que pendant quarante ans les hommes dirigeront les entreprises et les femmes travailleront dans le secteur socio-sanitaire. Sauf si les accords bilatéraux apportent un correctif par l'immigration. Je ne le pense pas. La lenteur sociale de la Suisse ne mérite peut-être pas un Etat plus rapide. Ou bien, un Etat débrouillard pourrait-il changer la société? Je n'en suis pas sûr. Restons Suisses et attendons.
* Editorialiste à la «Weltwoche».