La mémoire de longue durée peut donc rappeler ce genre de choses. Mais à quoi sert la mémoire de courte durée? J'ai décortiqué, un peu tard, les piles de journaux du printemps et de l'été 2001 dans mon bureau et, à cause de l'actualité, j'ai aussi revu les études et les livres sur le chômage du début des années 90. En fin de compte, j'ai tout jeté. Les articles et les analyses économiques de 2001 sont périmés à cause du changement conjoncturel et des événements du 11 septembre. Le paysage du chômage lui aussi est différent. On n'est plus aussi naïf qu'il y a dix ans, l'assurance chômage suisse a intégré une partie des leçons, par le gain intermédiaire, par l'incitation au travail donnée par les Offices régionaux de placement. De plus, la crise actuelle, si elle en est une, est déclenchée par le retrait des investissements, tandis qu'en 1990 et 1991, la Banque nationale freinait une inflation de 7% par l'étranglement de la consommation et de la construction. Qui s'en souvient encore?
Le marché du logement reste d'ailleurs toujours une énigme. Les spécialistes de l'agence Wüest à Zurich notent que le nombre de logements offerts aujourd'hui dans les journaux n'est que la moitié de 1998. On sait par d'autres statistiques que la construction de nouveaux logements tarde. En outre, la Suisse ne détruit qu'un demi pour mille des bâtisses existantes, ce qui suppose un maintien théorique sur deux mille ans! La construction confirme donc son caractère très cyclique et lent à changer. Ou faut-il lire dans cette absence de construction et d'offre de logements un changement du sentiment des investisseurs – à cause des droits des locataires? Ou à cause de la globalisation? Car toutes les grandes firmes vendent leur parc immobilier ces temps-ci, quitte à en louer les surfaces. Après la fin de l'or-béton des années 80, on tient son bilan en liquide, mobilisé, on ne veut pas être piégé dans le sol, dans une seule monnaie. Mais ce ne sont que supputations, je n'ai lu ou entendu aucune explication représentative du phénomène.
Les Français ont eu leur surprise cette semaine dans l'annonce que leur revenu national par habitant était tombé en dessous de tous les autres pays de l'Union européenne, sauf la Grèce, le Portugal et l'Espagne. Les Italiens avaient fêté «il sorpasso», leur avance sur la Grande-Bretagne il y a quinze ans, ils gardent leur position, et avec la Grande-Bretagne ils devancent la France. Le bond en avant le plus spectaculaire est fait par les Irlandais, qui gagnent 121% sur la moyenne européenne. Et pourtant toutes les statistiques montrent que les Français sont les plus productifs par heure travaillée. Mais comme les Français ont réduit les heures travaillées et partent tous à la retraite avant 60 ans ou presque, la richesse par tête s'en ressent.
La richesse du convoyeur de fonds qui avait volé 10 millions de francs en Argovie s'est volatilisée rapidement aussi. Il avait très bien préparé son coup, mais la première nuit de sa fuite à Hambourg, il a gaspillé des liasses de billets de 1000 francs – en plein territoire euro. Alors il fut pris. Je regrette ce déroulement, cent fois répété déjà, de vols bien organisés, mais sans aucune préparation de la suite. Le célèbre Briggs du vol du train postal en Grande-Bretagne reste une icône isolée, rare. Par ces remarques, tout le monde voit comment la chose me tente. Mais je reste une illustration vivante du fait que le Code pénal dissuade du crime – je ne crois pas au crime parfait, même avec préparation de la phase II, de la fuite…
* Editorialiste à la «Weltwoche».