Dans quelques jours, le Conseil national décidera du sort d’une motion capitale (Motion 14.3758, Buillard-Marbach, PDC/FR) pour tous les enfants qui se trouvent sur le territoire suisse. Doit-on créer une fonction d’ombudsman pour les droits de l’enfant ou, pour reprendre l’expression technique, une Institution indépendante de défense des droits de l’homme (INDH) consacrée aux enfants?

La Suisse très en retard

La Suisse figure parmi les rares Etats qui ne disposent toujours pas d’une pareille institution, ni pour les adultes, encore moins pour les enfants. Il est presque lassant de constater que la fonction d’ombudsman consacré aux enfants a fleuri chez nos voisins européens (Italie, France, Autriche, Norvège, Danemark, Grande-Bretagne, Belgique, Luxembourg…), devenant un instrument incontournable de la promotion et de la mise en œuvre de leurs droits.

L’ONU encourage la Suisse

A plusieurs reprises, encore très récemment (janvier 2015), le Comité des droits de l’enfant, l’instance onusienne qui évalue la compliance de la Suisse en matière de droits de l’enfant, a explicitement recommandé la création d’une institution fédérale des droits de l’homme indépendante, chargée de surveiller et d’évaluer les progrès pour ce qui concerne les enfants. Selon ce Comité, cette institution indépendante «devrait être accessible aux enfants, habilitée à recevoir des plaintes relatives à la violation des droits de l’enfant, à procéder à des enquêtes en ménageant la sensibilité des enfants et à traiter les plaintes dans de bonnes conditions d’efficacité».

Pourquoi l’instance est nécessaire

Elle est absolument nécessaire pour plusieurs raisons, dont: l’état de développement des enfants qui les rend particulièrement vulnérables aux violations de leurs droits; le peu de considération accordée à l’opinion des enfants; le fait que les enfants ne votent pas et ne jouent pas de rôle dans le débat politique; les difficultés objectives pour les enfants de recourir au système judiciaire; l’impossibilité fréquente d’être reconnus comme victimes et d’obtenir réparation; les obstacles pour accéder aux organismes susceptibles de protéger leurs droits.

De quoi notre pays a-t-il peur?

Pourquoi la Suisse ne respecte-t-elle pas son engagement solennel pris en ratifiant la Convention des droits de l’enfant? De quoi notre pays a-t-il peur? La motion Bulliard-Marbach ne fait rien d’autre que de rappeler à notre gouvernement ses obligations envers ses enfants et met en exergue le fait que ni l’Office fédéral des affaires sociales, ni la Commission fédérale pour l’enfance et la jeunesse, ni encore le récemment créé Centre de compétence suisse pour les droits humains ne sont véritablement aptes à promouvoir et à défendre les droits de l’enfant, le cas échéant à les faire respecter en cas de plaintes relatives à la violation de leurs droits d’enfant.

Il faut un ombudsman national

Une justification maintes fois exprimée par nos autorités fédérales est que l’ombudsman pour enfants est l’affaire des cantons. On pourrait en effet imaginer que chaque canton se dote d’un ombudsman pour enfants. Curieusement, jusqu’à présent aucun canton ne l’a fait. Mais même si c’était le cas, un ombudsman pour enfants national est indispensable dans un pays fédéraliste pour assurer une fonction de coordination et pour rester vigilant aux disparités que pourraient vivre les enfants entre les régions.

Et qu’on ne vienne pas dire que la création d’un ombudsman pour enfants est une manière d’inviter des juges étrangers à réglementer en Suisse. Un ombudsman suisse, bien de chez nous comme on dit, permet justement de régler à l’interne la plupart des situations de violation des droits de l’enfant. Il s’agit d’un rempart helvétique AOC offert à nos enfants de trouver une réponse à leurs besoins et à la reconnaissance de leurs droits dans leur propre pays.

Les enfants attendent qu’on les soutienne

Les enfants résidant sur le territoire suisse attendent depuis longtemps qu’une instance qui leur est dédiée traite de leurs plaintes individuelles et effectue un travail soutenu de plaidoyer efficace en leur faveur. Un ombudsman suisse, c’est donner une voix aux enfants suisses. Créer une fonction d’ombudsman, Mesdames et Messieurs les conseillers nationaux, c’est avoir confiance dans notre jeunesse et démontrer que nous autres, citoyens adultes, sommes assez grands et confiants pour encore mieux s’assurer que nos enfants soient chéris et respectés par toutes les composantes de notre société.


Jean Zermatten, ancien président du Comité des droits de l’enfant à l’ONU

Philip D. Jaffé, professeur à l’Université de Genève

Paola Riva Gapany, directrice de l’Institut international des droits de l’enfant

Michel Lachat, ancien juge pour mineurs du canton de Fribourg

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