La Suisse imprévisible
Ma semaine suisse
Les votations lors desquelles le peuple désavoue le gouvernement se multiplient. Après l’immigration, les salaires des patrons et les résidences secondaires, l’achat du Gripen est mal emmanché. Ce vote donnera-t-il un nouveau signal d’une Suisse qui n’est plus un roc de stabilité?

Ma semaine suisse
La Suisse imprévisible
Quel fil rouge relie les récentes votations sur les résidences secondaires, les salaires exorbitants des managers, la vignette autoroutière et l’immigration? A chacun de ces scrutins, tenus dans un climat polarisé et émotionnel, le peuple a refusé de croire le Conseil fédéral et l’a désavoué. L’organisation faîtière de l’économie suisse était, elle aussi, chaque fois dans le camp des perdants, en dépit de moyens engagés parfois très conséquents.
Soumis lui aussi au vote populaire le 18 mai prochain, l’achat du Gripen pourrait subir le même sort. Présentée comme un élément essentiel du dispositif national de sécurité pour ces prochaines années, l’acquisition de ce nouvel avion de combat devient incertaine tant le climat est à la défiance. La campagne pour le Gripen accumule les couacs. A droite, on se dérobe. La tentation d’infliger une défaite cuisante au patron de la Défense et seul représentant de l’UDC au Conseil fédéral, Ueli Maurer, est palpable. Dans les rangs radicaux et PDC, il y a comme un air de vengeance après la victoire, le 9 février, de l’UDC avec son initiative pour réintroduire des contingents d’étrangers, victoire acquise en solitaire, contre tous les autres partis et l’économie.
Le sondage publié vendredi ne rassure pas les partisans du Gripen qui douteront jusqu’au dernier jour. Que certains songent déjà ouvertement aux moyens de contourner la volonté populaire en cas d’échec en dit long sur leur nervosité, leur désarroi mais aussi leur mépris du peuple. L’auteur de ce dérapage n’est pas n’importe quel élu: Thomas Hurter préside la Commission de la politique de sécurité du Conseil national, et il est pilote militaire, c’est-à-dire juge et partie sur le Gripen. Sa sortie dans la presse dominicale a fait désordre. Elle surprend de la part d’un élu qui avait d’abord reconnu qu’il gagnerait à ne pas faire campagne pour préserver sa crédibilité. Le cafouillage ajoute de la confusion et agace bien des citoyens.
Si le camp qui a, jusqu’à présent, toujours défendu l’armée avec succès quand elle était attaquée dans les urnes encaissait une défaite, elle serait historique. Ce serait un indice de plus d’une distance grandissante entre le peuple suisse et ses élites, politiques et économiques. Et le signal d’un pays devenu imprévisible, alors que sa grande stabilité a compté parmi ses atouts majeurs.
Lors du colloque consacré à l’avenir des relations entre la Suisse et l’Union européenne, organisé la semaine dernière par l’Université de Genève et Le Temps , Andreas Höffert, le chef économiste d’UBS, a lâché une petite phrase insuffisamment commentée. «Pour les investisseurs, la Suisse n’est plus un îlot de stabilité politique.» Cette évolution, a-t-il ajouté, réduit mécaniquement l’attrait du pays, comme le coup de frein à l’immigration, qui promet de pénaliser les entreprises désireuses de recruter de la main-d’œuvre étrangère qualifiée.
La démocratie directe a généralement été vécue comme un facteur de stabilité. Le recours toujours possible au souverain a plutôt eu un effet modérateur sur les stratégies suivies par le gouvernement et sur les décisions du parlement. Et quand le peuple est consulté, on attend de son verdict qu’il apporte un surcroît de légitimité aux décisions prises en amont par les organes politiques. Le Conseil fédéral a longtemps pu se targuer de presque toujours gagner devant le corps électoral. Qu’il y ait des échecs isolés, c’est normal et gérable. Mais quand le peuple se met régulièrement dans le cockpit à la place du gouvernement et qu’il fixe de nouveaux caps à la politique étrangère ou de sécurité, sans trop se soucier du service après-vente, c’est décoiffant et pas sans risque.
Si le gouvernement perd plus souvent, spécialement sur des sujets à forte valeur ajoutée, c’est sans doute en raison de la polarisation accrue de la vie politique. Mais peut-être aussi parce que ce gouvernement a rarement été aussi faible en fortes personnalités capables de convaincre et d’imposer leur autorité à leur parti. On y trouve des gendres idéaux, des sourires Pepsodent, des profils lisses et fades, des hommes et des femmes minimisant les risques et gommant toute conviction face au public. Le peuple entend les conseillers fédéraux, peut trouver qu’ils font beaucoup d’efforts, qu’ils ont de la peine et s’en donnent, mais il ne les croit pas. Par beau temps, c’est anecdotique. Mais si la tempête venait à s’installer…
«Pour les investisseurs étrangers, la Suisse n’est plus un îlotde stabilité politique»
Le Temps publie des chroniques et des tribunes – ces dernières sont proposées à des personnalités ou sollicitées par elles. Qu’elles soient écrites par des membres de sa rédaction s’exprimant en leur nom propre ou par des personnes extérieures, ces opinions reflètent le point de vue de leurs autrices et auteurs. Elles ne représentent nullement la position du titre.