La Suisse doit soutenir l’interdiction des armes nucléaires
Opinion
OPINION. Après le refus du gouvernement, le parlement doit se prononcer le 5 juin sur la ratification par la Suisse du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires. Le président du CICR et la présidente de la Croix-Rouge suisse en appellent à la tradition humanitaire de notre pays pour soutenir ce traité

La Suisse s’apprête à prendre une décision capitale qui mettra à l’épreuve sa longue tradition humanitaire: adhérera-t-elle au Traité de 2017 sur l’interdiction des armes nucléaires?
Nos deux institutions, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et la Croix‑Rouge suisse, plongent leurs racines dans la mission humanitaire de la Suisse. Nous sommes l’un comme l’autre fermement convaincus que, pour prendre sa décision au sujet du traité, la Suisse doit se fonder sur notre humanité commune, les principes du droit international humanitaire et le rôle particulier qu’elle joue en tant que dépositaire des Conventions de Genève.
Les armes nucléaires sont les armes les plus destructrices jamais inventées. Le CICR a été le témoin direct de leurs conséquences catastrophiques sur le plan humanitaire lorsque, en août 1945, il s’efforçait de secourir les victimes du bombardement d’Hiroshima aux côtés de la Société de la Croix-Rouge du Japon.
L’explosion nucléaire a réduit la ville en cendres, tuant instantanément des dizaines de milliers de personnes, rasant les structures médicales et laissant derrière elle des conditions de vie effroyables pour ceux qui avaient survécu. Le CICR a appelé à l’interdiction des armes nucléaires dès le mois suivant et, depuis 2011, l’ensemble du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge demande avec insistance que ces armes ne soient plus jamais utilisées et qu’elles soient interdites par un instrument international juridiquement contraignant.
Risque nucléaire croissant
Si la décision qui incombe maintenant à la Suisse revêt une telle importance, c’est en raison de l’extrême gravité des explosions nucléaires. Il convient de rappeler qu’aucun plan international ni aucun acteur ne seraient à même de répondre de manière adéquate aux besoins des victimes en cas d’emploi d’armes nucléaires, et que leurs effets sur la santé peuvent perdurer pendant des décennies. De fait, les hôpitaux de la Croix‑Rouge du Japon continuent aujourd’hui encore à soigner des personnes atteintes de cancers ou de leucémies imputables aux radiations causées par les explosions atomiques de 1945.
Les citoyens et les responsables politiques de notre pays doivent se laisser guider par notre tradition humanitaire
On constate aujourd’hui avec une vive inquiétude que le risque d’explosion nucléaire va croissant. Alors que des responsables politiques de premier plan n’hésitent plus à brandir la menace d’un recours à l’arme nucléaire, le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU) a lancé en avril dernier cette mise en garde: «La guerre froide est de retour […], à ceci près que les mécanismes de sauvegarde destinés à gérer les risques d’escalade qui existaient alors semblent avoir disparu.» Les Etats détenteurs d’armes nucléaires modernisent leurs arsenaux de façon à pouvoir les utiliser dans des contextes plus variés. Parallèlement, leurs systèmes de commande et de contrôle sont désormais plus vulnérables aux cyberattaques.
Face à ces réalités, le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires, adopté à l’ONU en juillet dernier par 122 Etats – dont la Suisse –, représente une lueur d’espoir et un élément essentiel à l’instauration d’un monde exempt d’armes nucléaires. Nous sommes conscients que le traité ne fera pas disparaître les armes du jour au lendemain, mais il enlève toute légitimité à leur rôle et constitue un frein à leur prolifération. Aussi les Etats qui signent et ratifient le traité envoient un message clair: ces armes sont inacceptables.
La mise en garde d’Henri Dunant
Le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires vient compléter les objectifs des accords existants sur le désarmement nucléaire, tels que le Traité sur la non‑prolifération des armes nucléaires. Or la crédibilité de ce dernier est menacée tant que des progrès réels n’auront pas été accomplis dans l’exécution des obligations de désarmement qu’il prévoit. Et le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires constitue un pas concret dans cette direction.
Mais en quoi cela concerne-t-il la Suisse? L’adhésion au Traité sur l’interdiction des armes nucléaires par la majorité des Etats, dont la Suisse, peut marquer un tournant décisif vers un monde dénucléarisé. La Suisse peut et doit jouer un rôle actif dans la réalisation de cet objectif.
Le fondateur du Mouvement de la Croix-Rouge, Henri Dunant, mettait en garde à la fin d’Un souvenir de Solférino contre «les nouveaux et terribles moyens de destruction» augmentant le risque qu’à l’avenir «les batailles [deviennent] beaucoup plus meurtrières». Une guerre nucléaire concrétiserait les pires craintes de Dunant et trahirait les efforts déployés depuis des décennies pour contrôler les pulsions les plus destructrices de l’humanité.
A l’heure de décider si la Suisse doit adhérer au Traité sur l’interdiction des armes nucléaires, les citoyens et les responsables politiques de notre pays doivent se laisser guider par notre tradition humanitaire et ne pas oublier l’espoir que cet instrument représente pour les générations futures.
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