Il n’y aura pas de vacances d’été pour les responsables de la politique européenne de la Suisse. Ils devront élaborer pour la rentrée un projet de mandat en vue de l’ouverture de négociations avec l’Union européenne sur les questions institutionnelles.

Ils devront simultanément mettre au point les dossiers auxquels la Suisse entend donner une nouvelle impulsion: l’électricité et le contrôle de la sécurité des produits chimiques, ainsi que les questions fiscales – révision de l’accord sur la fiscalité de l’épargne, fiscalité des entreprises. Les accords de coopération dans le domaine de la navigation satellitaire ou de la recherche seront également relancés ou menés à leur terme.

Le gouvernement reste fidèle à «l’approche d’ensemble et coordonnée» qu’il a adoptée envers l’Union, traitant en parallèle toutes les affaires en suspens. Mais il donne clairement la priorité aux questions institutionnelles, comme le demandaient la Commission et le Conseil européen. De plus il infléchit sur un point essentiel les positions qu’il avait formulées le 1er février 2012: il admet aujourd’hui que pour assurer l’homogénéité du droit – principe auquel il s’est rallié –, il faut une dose de contrôle international de l’application des règles par la Suisse. Jusqu’ici, le Conseil fédéral entendait confier cette tâche exclusivement à des organes juridiques suisses, tel le Tribunal fédéral.

Autre concession contenue dans le mécanisme proposé: il s’appliquera aussi bien aux nouveaux accords à conclure qu’à ceux qui sont déjà en vigueur. Les comités mixtes paritaires, composés d’experts de l’UE et de la Suisse qui gèrent les accords, continueront à passer en revue la mise en œuvre de ces traités, notamment ceux qui gouvernent l’accès aux marchés, comme ils le font jusqu’à présent. Aujourd’hui, en cas de désaccord, le comité en est réduit à constater l’existence de divergences. Il ne peut rien décider, ne peut contraindre une partie récalcitrante à changer de point de vue et encore moins prendre des sanctions contre elle. C’est pour l’Union la racine du problème: l’absence d’un juge ou d’un arbitre qui garantirait la conformité des accords avec la Suisse au droit communautaire est source d’insécurité juridique. Deux dispositions identiques seraient appliquées différemment à l’intérieur de l’Union et en Suisse, faute de jurisprudence commune. Si les cas de ce genre sont relativement peu fréquents, ils sont souvent d’importance. Exemple: l’UE s’est opposée à l’invocation de la clause de sauvegarde (réintroduction temporaire des quotas) décidée par le Conseil fédéral en 2012, qu’elle a jugée illégale sans rien pouvoir faire.

A l’avenir, le Conseil fédéral propose que les membres du comité mixte puissent requérir un avis préalable – une «opinion préjudicielle» – de la Cour de justice de l’Union européenne, pour interpréter un point de droit ou régler un différend. Le comité prendrait alors sa décision à la lumière de cet avis. La Suisse conserverait l’option de ne pas s’y plier: elle s’exposerait alors à des mesures de compensation ou à la suspension de l’accord qu’elle ne serait pas en mesure d’appliquer.

En fait, le Conseil fédéral a repris cette idée du document de travail mis au point par le secrétaire d’Etat Rossier et par son homologue O’Sullivan, mais il l’a modifiée en y incluant des «lignes rouges» qui n’y figuraient pas. Il exclut en effet de cette nouvelle procédure une série de décisions touchant entre autres à la libre circulation des personnes, notamment celles relatives aux mesures d’accompagnement.

La proposition d’impliquer la Cour européenne dans le travail des comités mixtes est au cœur du projet du Conseil fédéral pour sortir de l’impasse les négociations sur les questions institutionnelles. Il se heurte déjà à des objections fortes de la part de l’UDC, qui dénonce l’irruption des juges étrangers, plus nuancées de la part du PDC, qui aurait préféré le recours à la Cour de l’AELE plutôt qu’à celle de l’UE. Certains milieux radicaux estiment aussi que le Conseil fédéral va trop loin. Le PS veillera à ce que la Cour européenne ne puisse appliquer indirectement à la Suisse sa jurisprudence en matière sociale, jugée restrictive.

Si l’accueil fait en Suisse aux propositions du conseiller fédéral Burkhalter est mitigé, Bruxelles n’affiche pas non plus d’enthousiasme. La Suisse et l’UE ont déjà croisé le fer dans le passé sur certaines des «lignes rouges». Déroger à la force obligatoire qui s’attache aux avis de la Cour constitue déjà une exception aux yeux de la Commission. Si en plus la Suisse veut soustraire certains aspects de la libre circulation des personnes au nouveau système qu’elle propose, elle se heurtera vraisemblablement à la Commission. Et les Etats membres, intéressés à la libre circulation sans entraves, ne seront guère favorables aux «lignes rouges» tracées par la Suisse. Les négociateurs suisses pourront-ils compter sur eux pour contourner les positions de la Commission, comme ils ont pu le faire en 2012?

Quand il a publié son premier projet en février 2012, le Conseil fédéral n’avait pas de plan B. Pourtant voici qu’il en présente un en juin 2013. Y aura-t-il un plan C dans un an?

Si l’accueil fait en Suisse aux propositions du conseiller fédéral Burkhalter est mitigé, Bruxelles n’affiche pas non plus d’enthousiasme

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