Durant près de trois ans, le monde politique suisse a passé une bonne partie de son temps à mettre en place la loi d’application de l’initiative UDC «contre l’immigration de masse», acceptée le 9 février 2014. L’exercice n’aura pas été totalement vain, puisqu’il a permis de sauvegarder les accords bilatéraux et d’empêcher le retour des contingents et du statut de saisonnier.

Mais il faut aussi admettre que durant près de trois ans, l’officialité helvétique n’a pensé qu’à ses petits soucis, ignorant les grands enjeux européens – sans même parler d’adhésion – du prochain quart de siècle. La preuve, c’est que le parlement a accouché d’un texte tellement insipide que l’UDC a renoncé à déclencher un référendum, réservant ses forces pour une future bataille frontale contre la voie bilatérale.

Politique à courte vue

Un contreprojet à l’initiative RASA («Sortir de l’impasse»), laquelle veut biffer purement et simplement l’article constitutionnel né de l’initiative UDC, pourrait être un moyen de redynamiser la politique européenne de la Suisse. Le Conseil fédéral a mis deux variantes en consultation.

La première vise à compléter l’article 121a de la Constitution en précisant que «la gestion de l’immigration doit tenir compte des accords internationaux d’une grande portée pour la position de la Suisse en Europe». Elle supprime les dispositions qui fixent un délai de trois ans pour appliquer l’initiative UDC.

La deuxième, en revanche, n’introduit pas de nouvelles dispositions et biffe uniquement ce délai de trois ans, ce qui permettrait des négociations ultérieures avec l’Union européenne (UE), après le Brexit. Ces deux variantes nous paraissent relever d’une politique à courte vue.

Participer au processus d’intégration

Nous plaidons pour un texte plus offensif, c’est-à-dire en faveur d’une disposition qui ancre dans la Constitution le rattachement de la Suisse au processus d’intégration européenne, celui-ci pouvant aller jusqu’à l’adhésion à l’Union, mais sans contrainte.

Dans cet esprit, le professeur Thomas Fleiner, spécialiste du droit européen, avait lancé l’idée, voici trois ans, qu’au moyen de ce nouvel article, la Confédération devrait reconnaître et soutenir les valeurs fondamentales de paix, de liberté et de prospérité mentionnées dans les traités du Conseil de l’Europe et de l’UE, tout en s’efforçant de développer une participation approfondie au marché unique de l’UE et à d’autres domaines politiques. Elle devrait prendre en compte les besoins de la population dans les domaines des transports, du travail, de la formation, de l’aménagement du territoire et du partenariat social (LT du 13.09.2014).

Combattre le déclin ensemble

Un texte de ce type permettrait à la Suisse de participer, avec tous les pays d’Europe, membres ou non de l’UE, à des actions communes pour relever certains grands défis européens, voire mondiaux. Car la Suisse, aujourd’hui moins qu’hier encore, ne vit pas en vase clos. Quelques exemples:

• L’Europe connaît un déclin démographique dramatique. En 2050, elle ne représentera plus que 7% de la population mondiale, contre 10% aujourd’hui. Sans migration, l’Allemagne pourrait passer de 81 à 65 millions d’habitants en 2050! Cette tendance ne pourra être renversée que par une politique d’immigration généreuse, qui nécessite une action européenne concertée, notamment en ce qui concerne la lutte contre le dumping social.

L’Europe, le continent qui connaît la plus faible croissance

• Depuis plusieurs décennies, l’Europe est le continent qui connaît la plus faible croissance. Une relance efficace de l’activité économique passe par une action coordonnée à l’échelle du continent (les succès du CERN et d’Airbus montrent que c’est possible): grands travaux, énergies renouvelables, révolution numérique, formation, le tout dans une perspective de développement durable.

• La réalisation de ces objectifs est vitale pour conserver et développer le modèle social européen. Il n’est pas envisageable de fixer partout le même âge de la retraite ou le même montant des allocations familiales. Mais nous avons besoin de standards sociaux européens, le salaire minimum ne devant par exemple être nulle part inférieur aux deux tiers du salaire médian.

Une UE profondément réformée

• De l’Américain Donald Trump au Russe Vladimir Poutine en passant par le Chinois Xi Jinping et le Turc Recep Tayyip Erdogan, la planète est de plus en plus dominée par des dirigeants autocrates. Continent de la démocratie athénienne et des Lumières, l’Europe doit s’unir comme un seul homme pour promouvoir la démocratie, les droits humains et la liberté de la presse partout dans le monde, tout en commençant par renforcer la cohésion sociale, seule susceptible d’éradiquer le national-populisme qui sévit sur de larges parties de son territoire, y compris en Suisse, où l’UDC est la quatrième force de la droite extrême en Europe.

Ces suggestions ne sont-elles pas autant de chimères, puisque l’euroscepticisme domine? Erreur, car selon le dernier Eurobaromètre, la majorité des Européens ne souhaite pas moins d’intégration européenne, mais plus. Mais comme le souligne l’eurodéputé Guy Verhofstadt (Le mal européen, Paris, Plon, 2016): «Ils ne veulent en aucun cas jeter le projet européen par-dessus bord. L’Européen moyen veut une Union profondément réformée: une Union plus efficace, démocratique, étendue et transparente.»


Jean-Claude Rennwald, politologue, militant socialiste et syndical.


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